Infinités – Vandana Singh

infinitesRésumé : Dans ce recueil de dix nouvelles et un essai se déploie la sensibilité à part d’une auteure de science-fiction spéculative qui n’a de cesse de remettre l’Homme au centre du récit. On y observe un professeur de mathématiques qui aimerait comprendre les tensions interreligieuses qui déchirent son pays, un étrange tétraèdre subitement apparu dans les rues de New Delhi, une femme convaincue d’être une planète.

Edition : Denoël Lunes D’Encre

 

Mon Avis : Bon, je dois bien l’avouer, la première chose qui m’a attiré vers ce livre c’est sa couverture, illustrée par Aurélien Police, que je trouve franchement magnifique. Oui, je sais, j’ai l’impression de me répéter au fil des bouquins, mais je trouve son travail impressionnant. Bon après je ne m’arrête pas que sur ce point là non plus, un recueil de nouvelles a toujours le don de m’attirer, ajouter à cela une auteur dont j’entends de plus en plus parler en bien, il n’a donc pas fallu longtemps pour qu’il rejoigne ma PAL. A noter que ce recueil comporte dix nouvelles et un essai et qu’il a été lu en lecture commune avec MarieJuliet.

Faim : Cette nouvelle nous plonge au milieu d’une famille aisée en Inde. L’héroïne s’apprête à recevoir le président de son mari pour un repas, mais ressent un drôle de pressentiment. Une nouvelle qui nous met directement dans l’ambiance, l’auteur va manier l’imaginaire avec finesse et surtout va nous pousser à réfléchir. Ainsi le point le plus intéressant de cette nouvelle vient clairement de la vision de la femme que nous propose l’auteur, ainsi qu’une critique sociale percutante sur l’Inde. On ne peut pas se sentir indifférent envers ce qui touche ce pays que ce soit dans ses luttes de classes comme dans sa gestion du peuple qui n’est pas non plus sans rappeler celle occidentale. L’héroïne se révèle très intéressante à découvrir, personnage amoureux de lecture SF, qui parait perdue dans un « univers » qu’elle ne contrôle et dont elle peine à trouver sa place. Pourtant il m’a manqué un petit quelque chose, un travail peut-être plus poussé sur l’émotion, pour complètement me sentir emporté par ce récit. Cela reste tout de même une très bonne lecture.

Delhi : Une nouvelle étrange qui nous fait découvrir un héros qui gravite dans la ville avec un but précis et surprenant, tout en aidant les désespéré comme il l’a un jour été. J’avoue j’ai énormément apprécié cette nouvelle, à la fois étrange et envoûtante. L’ensemble est surtout porté par un personnage principal très bien construit et touchant que ce soit dans sa quête comme dans ses blessures, mais aussi et toujours par cette ville que ce soit dans son ambiance comme dans les réflexions qu’elle soulève. De nouveau une véritable critique sociale sur un pays qui a démographiquement explosé mais où les inégalités sont fortes, poussant à la dépression voir au suicide. Au final un texte fort, poétique et captivant.

La Femme qui se Croyait Planète : On découvre ici une femme mariée, d’une classe sociale aisée, qui se réveille un jour en croyant être devenue une planète ce qui dérange fortement son mari, principalement sur ce que pourrait en penser les voisins. Le texte démarre de façon forte, prenant le côté humour et cynique pour nous offrir de nombreuses réflexions sur la position de la femme en Inde ainsi que sur l’importance du mariage dans la société, tout en y ajoutant une dimension fantastique et aussi angoissante avec un mari dépassé par les évènements qui va vouloir faire un choix. L’auteur joue aussi habilement entre folie et réalité, sauf que voilà une fois que l’auteur a répondu à la question de savoir si l’héroïne est vraiment une planète ou pas, j’ai moins accroché, j’ai trouvé que ça n’apportait pas grand-chose et enlevait un peu le côté mystérieux. Dommage, jouer avec le lecteur jusqu’au bout m’aurait plus fasciné. Un texte que j’ai trouvé aussi peut-être plus linéaire dans sa construction. Moins marquant, même s’il reste plaisant à lire.

Infinités : Alors voilà sûrement une des nouvelles, voir la nouvelle, que j’ai préféré du recueil. On découvre un professeur de Mathématiques qui a toujours été fasciné par les chiffres et surtout, principalement, par les infinités qui va, au fil des pages, se rendre compte des combats entre religions sanglants de son pays. Un texte que j’ai trouvé à la fois fort, avec un petit côté sens of wonder simple et captivant, et à la fois intelligent dans la façon dont il traite avec finesse du conflit entre les musulmans et hindous. Un texte sombre, violent, qui ne laisse pas indifférent et m’a passionné. L’aspect fantastique vient s’inscrire de façon réussi et intéressante avec ses fantômes, ses anges, qui servent un peu de muse au héros, mais qui surtout permettent de jouer clairement avec le lecteur (à la fois métaphore de la folie, mais aussi du génie), ce qui m’avait frustré dans le texte précédent. La tension monte ainsi au fil des pages, avec une souffrance qui s’exacerbe, mais qui trouve, d’une certaine façon une conclusion qui ouvre, je l’espère, à l’espoir.

Soif : Soif est une nouvelle qui sonne en écho avec Faim, avec une héroïne qui va découvrir que les femmes de sa famille subissent une malédiction liée à l’eau. Une nouvelle qui se veut à la fois légèrement fantastique, angoissante et toujours clairement intelligente. L’ambiance liée à l’eau offre une sorte d’oppression et se révèle très bien écrite et prenante. On y retrouve aussi cette critique sociale liée à la position de la femme, principalement vis-à-vis du mariage, qui tend parfois plus vers une sorte d’obligation, de prison. Un texte plein de surprises, qui possède aussi une petite touche poétique vers la fin, mais aussi une petite touchant angoissante dans sa conclusion. De nouveau on découvre aussi en toile de fond une ville surprenante, vivante voir même « explosive ». Au final une nouvelle plus que réussie et efficace.

Les Lois de la Conservation : Cette nouvelle se veut plus Science-Fiction , se déroulant sur la Lune avec un groupe de personne qui se retrouve régulièrement pour débattre et discuter. Un jour un débat sur les mondes miroirs va amener l’un d’entre eux à raconter une expérience qu’il a vécu sur Mars. Je dois bien avouer que cette nouvelle n’a rien de franchement marquant, je n’ai jamais réussi à rentrer complètement dedans, comme si l’auteur en quittant l’Inde avait un peu perdu son côté percutant et marquant. L’histoire reste sympathique, mais possède un côté SF classique. De plus la construction ne m’a pas paru  permettre au texte de s’élever, mais je ne saurai trop l’expliquer, comme si l’aspect conté manquait de force. Au final un texte vite lu, mais vite oublié à mon goût, surtout en comparaison des autres.

Trois contes de la Rivière du Ciel. Mythes de l’ère des astronautes : Voilà un autre texte qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. L’auteur construit ici trois contes, qui se veulent un peu création d’une mythologie et futuriste, mais qui m’ont paru assez quelconques que ce soit dans leurs constructions comme dans le fond. De plus, pour des contes j’ai trouvé qu’il manquait légèrement de poésie. Cela reste sympathique à lire, mais rien de très captivant. Seul le premier conte sort légèrement du lot, mais n’arrive pas non plus à rendre l’ensemble convaincant. Après, je suis peut-être passé à côté.

Le Tétraèdre : On retrouve, avec cette nouvelle, l’auteur dans un registre qui me parait plus à son aise avec l’Inde et la société en toile de fond. D’un point de vue construction le texte parait classique, avec l’irruption d’un objet inconnu et étrange qui va bouleverser la population. Mais voilà c’est de nouveau dans le constat social et dans la réflexion que l’auteur arrive à élever franchement le récit, nous offrant une héroïne en plein doute face à un mariage qui approche avec un mari hautain, et qui va alors voir le monde différemment face à l’arrivée du tétraèdre qui va devenir pour elle une obsession. On ne peut pas rester indifférent devant la façon dont est mené le mariage en Inde avec l’influence de la position sociale, l’importance de la famille que ce soit dans le choix comme des « cadeaux » ou encore toujours avec idée de voir le mariage comme une sorte d’emprisonnement. La touche SF offre aussi une couche clairement intéressante au récit, devant la réaction de chacun face à cette intrusion, mais aussi dans les idées scientifiques qu’elle soulève. Un texte très réussi.

L’Epouse : Avec cette nouvelle l’auteur quitte l’Inde pour les USA, avec une héroïne indienne déracinée pour suivre son mari, qui est aujourd’hui en pleine séparation. Le gros point fort avec cette nouvelle vient, comme souvent avec l’auteur, de son personnage principal, cette femme qui ne s’est jamais sentie chez elle dans ce nouveau pays, mais qui n’est plus non plus chez elle en Inde après tant d’années d’exil et qui se retrouve aujourd’hui perdue ; n’ayant plus rien à quoi se raccrocher. En effet ses enfants son devenus grands et son époux la quitte. Le côté fantastique permet aussi d’offrir une image de cette « folie », voir de cette libération, de façon tout à fait prenante et entraînante.  De nouveau, en tant que lecteur, on ne peut s’empêcher de se questionner et de s’ouvrir sur la culture Indienne, ses contraintes, principalement vis-à-vis de la femme. Sauf que voilà, elle m’a parue moins percutante que d’autres sur le même thème dans le recueil. Une nouvelle qui reste tout de même très sympathique.

La Chambre sur le Toit : Cette nouvelle traite de la vengeance, celle d’une femme qui voit son amie dépérir suite à sa mise en couple avec un artiste connu. J’avoue je suis mitigé avec cette nouvelle, je l’ai trouvé agréable et sympathique, mais je n’ai pas obligatoirement bien compris où l’auteur voulait nous emmener entre cette vengeance et le lien de l’héroïne avec les enfants de sa logeuse. Comme si deux histoires différentes se télescopaient et cherchaient à se trouver des éléments en commun. Par contre, j’ai énormément apprécié la conclusion que ce soit dans son côté poétique, émotionnel mais aussi fantastique.

Un Manifeste Spéculatif : Il ne s’agit pas ici d’une nouvelle, mais d’un essai de l’auteur qui montre, au cas où on ne l’aurait pas encore compris, la passion de celle-ci pour l’Imaginaire et plus principalement l’imaginaire spéculatif, qui fait réfléchir. J’avoue m’y être retrouvée complètement dans ce qu’elle écrit, excepté sur le fait qu’elle se permet de cliver le secteur considérant une partie des publications comme ne méritant pas d’être lu. C’est un choix, parfois il y a du vrai, mais qui me laisse un peu perplexe.

 

Je me permets une analyse plus globale car je trouve que chroniquer nouvelle par nouvelle ne permet obligatoirement de bien mettre en avant mon ressenti (même si c’est très difficile pour chaque livre de trouver les mots et surtout une analyse reste obligatoirement subjective). Vandana Singh offre ici un recueil de nouvelles que je considère comme franchement très réussi. Certes, certains textes ont eu du mal à m’accrocher, ou j’ai pu passer à côté, principalement j’ai trouvé dans son côté SF le plus pur, mais une fois la dernière page tournée mon ressenti global est plus que positif tant j’ai passé un bon moment de lecture. Le mariage entre « imaginaire », réalité, critique social et poésie se révèle clairement maîtrisé, discret, tout en finesse et permet en fond, et de façon subtile, de mettre en avant l’Inde, sa culture et ses coutumes loin d’être idylliques. L’auteur parle ainsi de son pays de façon détournée et pourtant terriblement percutante, faisant réfléchir le lecteur. Elle n’est pas non plus que critique, on sent toujours derrière ces mots une certaine beauté, une certaine poésie qui s’en dégage. Une lecture que je ne regrette pas et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce recueil de nouvelles qui nous plonge dans un imaginaire subtil et percutant qui cherche à nous faire réfléchir sur l’Inde, ses coutumes, ses contraintes, sa beauté, ses souffrances et d’autre sujet encore. L’auteur nous propose ainsi une dizaine de récits d’une grande finesse et soignés qui, même si quelques-uns n’ont pas réussi à m’accrocher, se révèlent dans l’ensemble marquant. L’aspect imaginaire possède, comme souvent, présent pour dissimuler et accentuer le message de fond, mais l’ensemble se révèle clairement maîtrisé. Il est difficile de résumer cette lecture, mais je ne peux que vous conseillez de vous laisser tenter pour vous faire votre propre ressenti tant je pense que ce recueil le mérite, sans non plus se révéler trop ardu je trouve. En tout cas je ressors de ma lecture avec un sentiment plus que positif et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 8/10

 

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