La Vraie Vie – Adeline Dieudonné

Résumé : C’est un pavillon qui ressemble à tous ceux du lotissement. Ou presque. Chez eux, il y a quatre chambres. La sienne, celle de son petit frère Gilles, celle des parents, et celle des cadavres. Le père est un chasseur de gros gibier. La mère est transparente, amibe craintive, soumise aux humeurs de son mari. Le samedi se passe à jouer dans les carcasses de voitures de la décharge. Jusqu’au jour où un violent accident vient faire bégayer le présent.
Dès lors, Gilles ne rit plus. Elle, avec ses dix ans, voudrait tout annuler, revenir en arrière. Effacer cette vie qui lui apparaît comme le brouillon de l’autre. La vraie. Alors, en guerrière des temps modernes, elle retrousse ses manches et plonge tête la première dans le cru de l’existence. Elle fait diversion, passe entre les coups et conserve l’espoir fou que tout s’arrange un jour.

Edition : Audible

 

Mon Avis : J’avoue, dernièrement j’en avais un peu marre, avec mon  abonnement audible, de me lancer ou me relancer dans des classiques de l’imaginaire, surtout que mes dernières « écoutes » ne se sont pas révélés très remarquable. J’ai donc décidé de découvrir d’autres types de romans, ceux sur lesquels je passe à côté sans prendre obligatoirement le temps de m’arrêter. Puis, parfois cela fait du bien de changer de ses habitudes. Ainsi j’ai décidé, pour cette fois, de me laisser tenter par le premier roman d’Adeline Dieudonné, dont j’avais pas mal entendu parler comme l’un des succès de la rentrée littéraire, mais aussi suite au retour plus que positif qu’en faisait le blog Just A Word ici et qui m’avait donné envie de le découvrir. La narration de l’audiobook est faite par l’autrice elle-même et je l’ai trouvé réussi et très prenante.

Ce roman nous plonge ainsi en plein milieu du Démo, un lotissement tout ce qu’il y a de plus banal, avec ses nombreuses maisons, toutes identiques, où l’on suit une jeune fille de dix ans à peine. Un jour sa vie, ainsi que celle de son frère, Gilles, vont basculer suite au décès brutal, devant leurs yeux, du marchand de glace. A partir de là, Gille ne sera plus jamais le même, une lumière se sera éteinte en lui et il va doucement sombrer. Elle va alors tout tenter pour ne pas perdre son petit frère, mais pour cela elle va devoir braver un monde qui est loin d’être idyllique. La Vraie Vie offre ainsi un récit initiatique d’une jeune fille qui va passer de l’enfance à l’âge adulte de façon crue, violente et qui m’a rapidement accroché pour ne plus me lâcher. Certes, l’intrigue est finalement assez simpliste dans sa construction, pour autant cela ne l’empêche pas de se révéler plus que solide et surtout terriblement efficace. Cette lente gradation dans l’atmosphère troublante et oppressante, dans le passage d’une vie insouciante vers la découverte d’un monde adulte beaucoup plus complexe, plus sombre, s’avère très réussie et captivante.

Ce qui rend rapidement, selon moi, ce récit accrocheur c’est la perpétuelle tension qui est présente du début à la fin, ce sentiment d’étouffement qui se dégage et s’accentue au fil des pages et de l’évolution de l’héroïne. On découvre ainsi une jeune fille qui ne connait pas une vie facile, avec une mère complètement effacé, qui paraît sans vie, subissant sans broncher les colères et la violence de son mari. Un père, chasseur dans l’âme, qui ne vit que pour la traque, le sang et qui affiche ses trophées comme quelque-chose qui le rend supérieur ; c’est un homme violent, sauvage, qui considère les femmes comme inférieures n’ayant d’autres rôles que de servir les hommes. Le seul rayon de soleil de notre héroïne est ainsi son frère, Gilles, qui va pourtant perdre sa joie et sa bonhomie suite à l’accident et va devenir, au fil du temps, de plus en plus comme son père, rongé par une « animal » sombre qui habite en lui et le détruit. On plonge dans un récit qui va se révéler à la fois tragique, brutal qui, pourtant, nous montre une vie ordinaire, quelconque, mais qui vient alors tisser les horreurs que l’on cache habituellement pour éviter de s’y arrêter ou d’y réfléchir. Le récit ne réinvente pas la peur, il ne fait que parler des horreurs du quotidien qu’on ne voit que trop tard.

Ainsi, entre violence familiale, violence sociale, haine des autres qui possèdent ce qu’ils n’ont pas, on découvre au fil des pages un lotissement loin d’être enchanteur. On est à l’opposé de cette image de la classe moyenne, heureuse dans son petit coin de paradis, avec sa propriété et son bout de jardin. On perçoit alors des gens plus ou moins brisés par la vie, enfermés sur eux-mêmes, qui ne communiquent pas avec les autres sauf exceptions. On découvre aussi des gens enfermés dans une routine qui ne savent pas s’en sortir, on se rend compte d’une certaine lassitude chez certains, dans un « monde » sans vie et tellement normé que la différence des uns et des autres doit s’effacer dans ce quartier. Car oui, en plus d’un récit initiatique fort et percutant, ce récit nous offre aussi, d’une certaine façon une critique sociale acerbe et incisive. A travers le microcosme de ce quartier, l’autrice nous présente une société qui s’effrite petit à petit, dont on a renié les différences de chacun pour tenter des les faire rentrer dans un moule, qui a du mal à trouver un but. On se rend aussi compte d’une société en évolution, dont certains ont du mal à accepter les changements, qui préfèrent rêver d’un passé meilleur qui n’a sûrement jamais existé, mais qui font tout faire pour le retrouver. Elle nous montre aussi cette violence sourde qui se cache chez certains et le tout de façon viscéral, tellement vivante et réaliste. Entre haine, déception, souffrance, violence, le récit nous dépeint finalement une humanité protéiforme, à la fois sombre, mais aussi qui ne manque pourtant pas d’espoir.

Cela se ressent ainsi dans la construction de l’héroïne, de cette jeune fille qui ne veut pas se laisser étouffer par ce lieu, sa famille, qui va tout tenter pour se battre, pour tenter de s’élever. Elle ne le fait pas que pour elle, elle a un but, sauver son frère. Pourtant, la vie ne va pas lui faire de cadeaux, elle va lui en donner des « claques », mais pourtant elle va continuer à se relever à avancer. Son exutoire c’est la science, son égérie c’est Marie Curie et à partir de là elle va se construire, elle va évoluer et va montrer que parfois on peut s’en sortir même si c’est loin d’être facile et que cela a un coût. Elle va ainsi découvrir que, dans un océan de noirceur, elle peut aussi y trouver des bulles d’optimismes, comme des bouffées d’air frais dans son quotidien. Bien entendu tout cela est précaire, fragile, elle va devoir apprendre à jongler, tout en devant gérer le fait que plus elle grandit, plus elle se transforme avec tout ce que cela entraîne, allant du regard des autres qui change jusqu’au désir et la sexualité. On découvre ainsi une héroïne forte, à laquelle je me suis rapidement attaché, me retrouvant d’une certaine façon à la soutenir, à espérer qu’elle allait s’en sortir, à suivre sa vie pour voir comment elle allait évoluer. Autour d’elle gravite un panel de personnages hétéroclites, représentatif de la banalité de la vie et des différentes conséquences qu’elle peut occasionner et qui ne laissent pas le lecteur indifférent.

La plume de l’autrice ne manque pas de se révéler percutante, incisive, à la fois simple et dérangeante dans ce qu’elle développe, mais aussi d’une certaine façon poétique et envoutante, me captivant dès la première page. La petite pointe de fantastique vient aussi apporter un plus au récit. La scène de la forêt m’a d’ailleurs marqué, mais je n’en dis rien pour ne pas trop en dévoiler. Une des grandes qualités de ce récit, selon moi, est finalement d’avoir, à partir d’un récit banal au démarrage, construit une histoire qui percute le lecteur, avec sa violence si tangible, si réaliste, qu’elle ne laisse pas indifférent. Alors, après je pourrai souligner une conclusion qui confond parfois accélération avec une légère précipitation, un côté un peu linéaire et en grande partie devinable de l’intrigue ou bien encore un élément important de la conclusion, dont je ne dirai rien pour ne pas spoiler, mais qui était tellement prévisible pour moi qu’elle en perd son côté surprenant, mais franchement ce ne sont que des petites broutilles. Au final j’ai accroché à ce roman, à la fois glaçant et saisissant, et je suis bien content de ma découverte.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui nous plonge dans une famille et un quartier que l’on pourrait considérer comme normal, mais qui va peu à peu devenir de plus en plus oppressant. On découvre ainsi une jeune fille qui va tout tenter pour récupérer son frère qui a perdu sa joie de vivre après avoir assisté à la mort accidentel du marchand de glace. Entre une mère amorphe, un père chasseur qui aime la violence et qui a des idées bien arrêtés sur l’Homme et la Femme et un quartier qui montre un certain désespoir, l’héroïne va vite découvrir que devenir adulte n’est pas sans conséquences. Ainsi le récit construit une héroïne charismatique, forte, attachante dont on suit les aventures avec l’envie d’en apprendre plus, qui va prendre de nombreuses « claques », mais qui va toujours se relever. Le roman, en plus d’offrir un récit sur les violences familiales, va aussi nous offrir une critique sociale acerbe et percutante, montrant un quartier loin de l’image de la classe moyenne heureuse dans son pavillon, qui perd peu à peu ses illusions. L’ensemble est porté par une atmosphère incisive, oppressante, parfois limite étouffante, mais qui sait offrir quelques bulles d’espoir. La plume est à la fois simple et dérangeante, tout en amenant parfois une certaine poésie. Alors après je pourrai regretter une certaine précipitation sur la fin, un récit un peu linéaire et en partie prévisible, une conclusion, certes très percutante et haletante, mais avec un élément de révélation trop facilement devinable, mais ce n’est pas grand-chose tant j’ai été emporté par le livre. 

 

Ma Note : 8/10

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  1. J’adoré ce livre. La plume et le ton de l’auteure qui rendent bien une certaine atmosphère. De fait c’est incisif. Je la rapproche de Lize Spit et son « Débâcle ». (Si jamais tu veux tenter…c’est une autre belge, on a des perles 😉 héhé)

  2. Dans la série « je vais voir ailleurs », pourquoi ne pas me laisser tenter par ce roman.

    J’avais déjà suivi les recommandations de Just a Word en lisant Une douce lueur de malveillance alors pourquoi ne pas suivre vos conseils et lire celui-ci…

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