L’Enchâssement – Ian Watson

Résumé : Il y a cet institut médical anglais qui, discrètement, se livre à des expériences linguistiques extrêmes sur des orphelins coupés du monde… Dans le même temps, au Brésil, dans un coin de jungle amazonienne promise à la submersion par un barrage titanesque, l’ethnologue français Pierre Darriand étudie le langage enchâssé réservé aux mythes du peuple xemahoa, une langue qu’on ne peut comprendre que sous l’emprise d’une drogue sacrée… Ailleurs, au coeur du Névada désertique, Russes et Américains connaissent le vertige d’un premier contact extraterrestre secret avec les Sp’thra, une race engagée dans une quête infinie, mystique, du langage… Avant que tout ne se lie, ne s’enchâsse, donc, avec pour horizon potentiel l’ultime libération, celle des esprits.

Edition : Le Bélial’

 

Mon Avis : L’Enchâssement est un roman qui a initialement été publié en 1973 en VO et 1974 en VF. Il s’agit du premier roman publié de l’auteur, mais aussi celui qui a le plus marqué le milieu et est encore à ce jour considéré par de nombreuses personnes comme un chef-d’oeuvre. Chef-d’oeuvre que je n’avais pas encore découvert pour ma part. Par conséquent, quand les éditions du Bélial’ ont décidé d’offrir une nouvelle publication à ce récit, avec une magnifique couverture illustrée par Manchu, j’ai su rapidement qu’elle terminerait dans ma PAL. A noter aussi que ce livre possède une préface de l’auteur très intéressante malgré son petit air décousu, ainsi qu’une postface sur la linguistique et la SF qui est travaillée et captivante, permettant aussi, si besoin est, de comprendre et approfondir les hypothèses du récit.

Ce roman va ainsi nous plonger dans les aventures deux personnages principaux. Chris Sole, linguiste travaillant dans un institut sur un projet « secret », où des Orphelins cloitrés et coupés du monde dans un sous-sol apprenne le langage enchâssé avec l’aide d’un nouveau médicament. Pierre Darriand, ethnologue qui rêve de changer le monde et qui est parti étudier dans les confins du Brésil le peuple Xemoha qui utilise un double langage, traditionnel pour communiquer et enchâssé pour tout ce qui est rites, mysticisme et traditions. Ces deux personnages vont voir leurs vies bouleversés quand Chris Sole va apprendre que des aliens s’approchent de notre terre et qu’ils proposent un échange bien spécifique. Clairement l’intérêt premier de ce roman vient du sujet traité qui est la linguistique qui est étonnamment peu traité dans des romans de science-fiction, même si cela commence à changer. En effet beaucoup voit, à raison, la SF comme des récits de sciences dites « dures ». Pourtant des romans comme l’Enchâssement justement, Babel 17 de Delany ou bien encore Les Langages de Pao de Jack Vance et quelques autres d’époque qui construisent leurs intrigues sur le langage, montrent qu’il est possible aussi de construire des récits sur des sujets sur d’autres aspects de la science plus sociales.

C’est d’ailleurs finalement la grande force du récit, selon moi, le travail de l’auteur sur toute cette notion de langage et d’enchâssement, que je ne connaissais pas plus que cela mais que j’ai découvert avec plaisir. Il propose ainsi à travers ces arguments de montrer qu’avec le langage il est possible de s’élever et de dépasser nos différences, le tout avec la notion d’une langue, d’une grammaire universelle qui serait innée au plus profond de nous. Il considère aussi le langage comme un élément qui permet d’ouvrir et d’offrir un grand nombre de richesses et au bout de s’élever, cela se ressentant principalement lors de la rencontre avec les extra-terrestres qui proposent un travail de réflexion plutôt intéressant. Surtout il nous est finalement représenté comme une représentation personnelle de l’univers, de son univers. Une même phrase n’aura ainsi pas la même signification profonde pour chacun d’entre nous par exemple.

Le langage gagne aussi en densité et en intérêt avec le peuple Xemoha qui propose un double langage et surtout un langage plus « vivant » que celui que l’on peut connaître, qui se comprend aussi bien dans l’importance des mots que dans les mouvements. C’est ainsi un langage d’ouverture, qui permet une compréhension du monde plus large. La drogue est aussi au coeur de cette idée, celle utilisée par les Xemoha lors de leurs transes et celle injectés aux enfants dans le centre pour leur permettre d’utiliser le langage enchâssé, comme si la compréhension du monde, de sa beauté passe par une ouverture de l’esprit impossible sans aide. J’ai trouvé cette idée très liée à l’époque où a été publié le roman, où dans les années 70 l’art, la culture et les drogues ont souvent été très présentes dans ces milieu, mais qui n’a plus vraiment les mêmes références aujourd’hui. Enfin autre point intéressant du récit vient clairement de l’enchâssement des intrigues et sous-intrigues qui finalement colle parfaitement au récit et aux notions développés.

Sauf que voilà ce genre d’expérience n’est pas non plus sans contrainte, sans souffrance, Chris Sole en est d’ailleurs la preuve, son étude sur des enfants orphelins cloisonnés, poussé à apprendre le langage enchâssé part bien d’une idée de développement novateur, mais plonge dans les plus sombres  idéologies ou la morale disparait au profit du résultat et des avancées et où notre héros devient aveuglé par le but et le gain. J’ai toujours un peu peur avec cette notion qui tombe régulièrement dans la caricature du scientifique diabolique, mais là l’auteur l’intègre parfaitement dans le récit de façon nuancé et terriblement efficace. Le récit n’est pas obligatoirement facile d’accès aux premiers abords, demandant un minimum de concentration. Au final même si dans l’ensemble l’auteur arrive à rendre en grande partie le tout cohérent, accessible et que la postface apporte aussi son lot d’éclaircissement, il pourrait quand même en bloquer certains. Pour autant de mon côté c’est clairement cette partie scientifique qui m’a fasciné, dans les idées qu’elle soulève et dans les réflexions qu’elle propose. Certes certaines tombent un peu à plat devant les avancées obtenues depuis (je pense principalement à l’idée du langage universel), ou sont traités un peu trop facilement je trouve, mais l’ensemble est franchement efficace et ne m’a pas laissé indifférent, amenant des questions aussi simples que la compréhension de l’autre, mais aussi sur la définition de nos propres connaissances ou encore sur la notion de réalité.

Là où par contre j’ai eu de mon côté plus de mal et que je trouve que l’auteur pêche un peu dans son récit, c’est au niveau de son intrigue qui n’est pas à la hauteur j’ai trouvé. On a ainsi l’impression qu’elle n’est là que pour soutenir le message de l’auteur, sans chercher à la développer ou la densifier ce qui fait qu’au final elle a eu un peu de mal à me captiver et complètement m’entraîner. Pour autant l’idée proposée avec les aliens est intéressante et permet de développer un certain nombre de manipulations et de trahisons, mais voilà  l’ensemble est traité trop simplement et repose sur beaucoup trop de coïncidences tellement  faciles et bienvenues qu’elles en deviennent par moment improbable. Je pense par exemple à la conclusion sur les extra-terrestre ou encore la mission sur le barrage. C’est frustrant, car certains aspects de manipulation sont très bien amenés et soignés, je pense principalement à celle qui concerne l’ethnologue et son guide qui m’a surpris.

Je trouve aussi dommage que pour un roman qui met en avant une science comme le langage, une science de contact, il propose des personnages qui manquent de profondeurs, ce qui fait que je les ai trouvés constamment distants, voir légèrement froids. On sent aussi par moment le premier roman, principalement dans certains dialogues qui manquent de finesse. Attention cela n’enlève en rien les nombreuses qualités qu’offre ce roman que ce soit sur la notion linguistique, mais aussi dans certains axes de réflexions ou bien encore aussi certains aspects mystiques comme « l’accouchement » dans le peuple Xenoha qui sont franchement intéressantes, mais voilà au final je pense que j’attendais quand même un peu plus de ce roman principalement dans le travail sur son fil conducteur. J’ai quand même passé un bon moment de lecture, porté par une plume simple et efficace et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur pour voir comment sa plume et ses idées ont pu évoluer.

Résumé : Ma lecture de L’Enchâssement a été un peu particulière. Au final j’ai passé un bon moment de lecture, emporté principalement par le travail effectué sur le langage ainsi que toutes les idées qu’il soulève. Proposant des notions vraiment riches sur l’important de celui-ci dans la compréhension de l’univers, ces contraintes, mais aussi sa capacité de nous élever, de nous améliorer. Il nous fait aussi réfléchir sur la notion de science, l’utilisation des drogues ou bien encore sur la capacité humaine à s’entredéchirer. Sauf que voilà autant les axes de réflexion et les idées développées, même si parfois ne sont pas parfaites où on un peu vieilli, sont captivantes, j’ai trouvé l’intrigue un peu faible. Comme si elle n’était là que pour offrir un cadre aux concepts présentés. Pour autant l’idée de départ est intéressante, même si classique, mais voilà entre les coïncidences trop faciles, les passages traités trop rapidement et parfois le manque de densité je me suis senti légèrement frustré. De même les personnages présentés m’ont paru un peu distant et froid, ce qui est dommage pour un roman traitant du langage et donc d’une certaine façon de l’échange, du contact et certains dialogues m’ont paru mal amenés. Après l’intrigue possède aussi de très bons passages, comme certaines manipulations ou certains aspects mystiques. Au final une bonne lecture, pas obligatoirement la claque annoncée par le statut du livre, mais un récit intelligent bien porté par une plume simple et efficace.

 

Ma Note : 7,5/10

 

Autres avis : Lorhkan, Iluze, …

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  1. Je l’ai lu en fin d’année 2016 et je te rejoins ton avis.

    Belle chronique 🙂

  2. Ah, je l’ai dans ma wish-list!!! Il ne va pas en sortir!

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