Résumé : Aux centaures la plaine luxuriante, aux faunes la forêt centenaire et aux tritons l’océan infini. Protecteur des Trois Tribus et gardien des animaux, Klévorak, le roi du peuple aux six membres, maintient la paix entre tous, imposant sa loi. Mais celle-ci vient d’être violée, et voilà que les eaux se déversent du ciel crevé et que la race impie des hommes, frères du froid et de la mort, menace l’équilibre de la nature… Pris entre la mer salée, immense et terrible, et les glaives de bronze des Écorchés, les centaures et leurs frères vont devoir faire un choix.

Edition : Callidor

 

Mon Avis : Je continue ma plongée dans le catalogue des Editions Callidor qui propose un travail très intéressant sur des auteurs ou des livres oubliés, ou bien qui n’ont jamais été publié en VF. D’ailleurs, il est à noter que cette fois il s’agit d’un auteur français, André Lichtenberger étant originaire d’Alsace et est principalement connu pour ses écrits plutôt pessimistes sur le socialisme et la France. Alors, je l’avoue, je me considère comme une personne ayant un minimum de connaissance en Fantasy, mais je n’avais jamais entendu parler de ce roman qui est quand même présenté par l’éditeur comme l’un des pionniers de la Fantasy française. C’est donc une découverte. Il est d’ailleurs assez étonnant de savoir qu’il a d’abord été redécouvert aux USA par une édition publiée en 2013 et présentée par Brian Stabelford, alors qu’il n’avait plus été édité en France depuis 1921. Concernant les illustrations elles sont de Vincent Poiré, réalisées pour l’édition de 1921, et ajoutent un vrai plus, je trouve, à l’objet en lui-même qui est toujours aussi superbe.

Ce roman nous fait ainsi découvrir une période où les êtres de légendes cohabitent avec les animaux. Cet équilibre, cette paix, ce paradis est principalement dû à la présence des Centaures qui ont ainsi imposé cette loi de ne jamais tuer, parfois c’est vrai par la force. On se retrouve ainsi à suivre ce groupe de Centaures, qui paraissent invincibles, et plus principalement Kadila, la centauresse blanche et pure, fille de Klévorak chef de ce clan. Leurs seuls ennemis sont le froid, qui parfois envahissent leurs régions et les oblige à migrer, et aussi les écorchés ces êtres immondes qui prolifèrent dans les zones abandonnées par les centaures et tuent les animaux simplement pour s’habiller de leurs fourrures ce qui est considéré comme un crime innommable. Sauf que voilà, les choses vont brusquement changer et les centaures vont devoir faire face. On plonge ainsi dans un roman qui ne cherche pas à nous offrir franchement une quête, un but, mais plus à nous présenter le changement, la fin d’une ère et ce que cela amène comme bouleversement. Et je dois bien admettre qu’une fois la dernière page tournée j’ai passé un excellent moment de lecture avec ce roman. Il y a un côté très prenant à suivre la vie de ces centaures, de les découvrir dans leurs habitudes, leur construction sociale, mais dans leurs idéaux et leurs coutumes. On pourrait croire qu’il y a un côté très contemplatif dans ce récit, ce qui est un peu vrai dans ce qu’il nous fait découvrir, mais cela n’empêche pas l’auteur d’offrir une histoire prenante, bien construite qui monte lentement au fil des pages en tension, apportant changements, rebondissements et évolutions, qui m’a happé dès les premières pages.

L’un des gros points forts du livre vient de son univers qui est développé tout du long. On a clairement l’impression de plonger dans ce monde « parallèle », de se dire que cette petite partie d’Histoire a réellement existé dans les temps anciens. Il faut dire que le travail de l’auteur sur ce monde est dense, soigné et d’une grande richesse qui rend l’ensemble prenant. On est ainsi totalement dépaysé par les différents lieux visités, ce côté très nature, très préhistorique, très luxuriant et fascinant qui se dégage de cette histoire tout du long. Surtout qu’on a franchement l’impression d’être plongé là-bas, de découvrir par soi-même ces régions, de sentir, palper, cette nature qui parait encore intacte, sauvage, fastueuse et magnifique, bien porté par des descriptions soignées et vivantes. Mais au-delà de cette toile de fond fascinante, c’est surtout dans la représentations des différents peuples, des différentes espèces, dans la présentation de leurs us et coutumes, dans leurs façon de vivre, d’évoluer, d’aimer, de diriger que ce récit gagne aussi en intérêt, en complexité et en densité. Le choix aussi d’offrir aux animaux des « noms », en plus des êtres de légendes, rend aussi l’ensemble plus touchant, plus marquant et nous fait réfléchir sur l’environnement. On découvre ainsi une société avec ses lois, ses règles, ses interdits, ses croyances et ses moeurs où chacun essaie de vivre en harmonie, mais où la violence reste quand même présente et la trahison aussi. Au final un univers que j’ai trouvé marquant, que ce soit à travers sa beauté comme à travers son aspect assez impitoyable, et qui donne envie d’en apprendre plus.

Après, comme souvent avec les romans des éditions Callidor, l’autre point qui marque le lecteur dans ce récit, c’est la plume d’André Lichtenberger. Elle s’avère ciselée, profonde, ample, travaillée offrant à la fois de véritable passages épiques, des passages plus flamboyants, sensuels mais aussi des passages plus sombres, plus violents, sanglants, le tout avec une maestria assez fascinante. On sent une tension monter ainsi au fil du récit. Alors certes, parfois, l’ensemble s’avère un peu trop riche, un peu trop exubérant, mais franchement cela ne se remarque qu’à peine, je trouve, tant l’ensemble reste maîtrisé et efficace. On est ainsi rapidement immergé dans ce récit, dans cette ambiance qui est construite à la fois resplendissante, envoutante mais aussi âpre et parfois même cruelle. Après, c’est vrai, si vous préférez les romans plus nerveux, voir moins porté par une plume très riche qui prend son temps, il vaut mieux alors passer votre chemin vous risqueriez d’être déçu. Pour ma part j’ai toujours trouvé que ce genre de plume soignée et envoutante, si elle est maîtrisée et qu’elle arrive à trouver un juste milieu entre immersion, descriptions et évolution de l’intrigue, apporte un vrai plus au roman. Là, pour ma part, je trouve que c’est le cas, la plume sachant nous emporter tout en n’oubliant pas de nous raconter une histoire.

Concernant les personnages, on suit principalement le récit à travers le personnage  de Kadila qui nous offre une héroïne perspicace, très intéressante dans ses envies de changement, d’évolution, mais aussi dans sa vision du monde et dans ses espérances. On découvre ainsi une Centauresse moins terre-à-terre que son peuple, d’une certaine façon plus romantique, plus sensible, plus rêveuse, qui s’est ouverte au monde d’une certaine façon, mais sans jamais tomber dans la caricature pour autant. Certes ses idéaux sont très fleurs bleues, très rêveurs mais c’est construit et il y a une certaine logique derrière cela et surtout on découvre que l’amour sait parfois aussi se montrer cruel. Car finalement Kadila est une très jeune centauresse, elle possède encore ce côté naïf, irraisonnée d’une jeune fille qui cherche un avenir différend de ce qu’on a écrit pour elle. Mais surtout elle amène un regard sur le changement que va connaitre ce monde, les choix que chacun vont faire et qui va mener à cette conclusion. On découvre ainsi un monde qui évolue, mais où es Centaures restent ancré dans leurs tradition, une histoire où si certains choix avaient été différents, certaines haines n’existeraient peut-être pas. Les Ecorchés, qui sont finalement les Hommes, sont certes des « monstres » dans leurs actes face à la Nature et à la Planète, mais vont encore se monter bien pire face aux être féérique que parce que ces derniers les haïssent et font tout pour les éliminer. Il n’y a donc pas de paix possible ?

D’ailleurs ce roman ne manque pas de soulever aussi de nombreuses réflexions, que ce soit sur la façon dont nous gérons notre planète, les choix que chacun font, mais aussi sur la notion (je trouve) d’environnement, la notion d’amour ou bien encore sur sur l’aspect social et politique, la vie des Centaures et des humains dévoilant deux choix de vies finalement opposés. Alors c’est vrai, parfois, on sent que le message est un peu forcé par l’auteur, mais rien de non plus trop bloquant. Je regretterai par contre le fait que mis à part Kadila et, dans une moindre mesure, Klévorak, les autres personnages manquent quand même parfois de consistances, voir restent même un peu binaire dans leurs constructions. Certes cela n’enlève en rien aux qualités du roman, mais bon je trouve que certains des protagonistes auraient mérité un peu plus de développement pour mettre un peu plus de diversité. Au final j’ai trouvé dans ce roman d’André Lichtenberger un récit épique, la fin d’une ère qui laisse la féérie de côté pour le pragmatisme et qui m’a offert un excellent moment de lecture.

En Résumé : J’ai passé un excellent moment de lecture avec ce roman qui nous fait découvrir la fin d’un ère, un monde où les Centaures et les animaux vivent en paix mais vont voir le monde changer. J’ai ainsi été rapidement captivé par l’histoire que construit l’auteur, son ambiance, mais aussi cette tension qui monte lentement au fil des pages. L’univers est l’un des gros points forts du livre, nous proposant un monde riche, flamboyant, dépaysant qui fascine et porté par des descriptions qui donnent l’impression d’être présent sur place. Mais surtout ce qui rend cet univers encore plus dense c’est le travail sur les différentes coutumes, traditions et façon de vivre des différentes espèces que l’on découvre et qui viennent enrichir le tout. L’autre point fort vient clairement de la plume qui s’avère ciselé, riche, dense et captivante. Cela pourra peut-être en déranger certains, mais pour ma part je trouve que l’auteur la maitrise parfaitement, ne tombant jamais dans les longueurs, et apporte un plus à l’ensemble. Concernant les personnages on suit Kadila, une héroïne intéressante, complexe, à la fois naïve, rêveuse, qui cherche à s’extirper d’un chemin déjà tracé, mais qui ne manque pas de perspicacité. Je trouve par contre un peu dommage que les autres protagonistes soient un peu trop en retrait, voir parfois un peu binaires, même si rien de non plus bloquant. Autre point intéressant c’est que, malgré l’âge de ce roman, il continue à nous faire réfléchir que ce soit sur la notion d’environnement, de changement, de choix ou encore sur la position de chacun, même si c’est vrai, parfois, j’ai trouvé que l’auteur en faisait un chouïa trop. Au final Les Centaures est, pour moi, une excellente découverte.

 

Ma Note : 8,5/10