Trois Oboles pour Charon – Franck Ferric

trois oboles pour charonRésumé : Pour avoir offensé les dieux et refusé d’endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu’il a cherché à fuir : l’absurdité de l’existence et les vicissitudes de l’Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon – le Passeur des Enfers qui lui refuse le repos –, Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s’effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux.

Edition : Denoël Lunes d’Encre

 

Mon Avis : J’ai découvert Franck Ferric il y a quelques années, lorsque je suis reparti des Imaginales de l’époque, sous les conseils avisés de Lelf, avec sous le bras mon exemplaire de La Loi du Désert. Livre qui m’avait d’ailleurs offert un excellent moment de lecture, offrant un voyage surprenant, fascinant et mortel (ma chronique ici). Puis je me suis laissé tenter ensuite par Les Tangences Divines, une histoire agréable ramenant les dieux dans notre société, même si je l’ai trouvé moins abouti (ma chronique ). C’est donc sans surprise que le nouveau roman de l’auteur ait rapidement terminé sa course dans ma PAL, il faut dire aussi, bien porté par un résumé intrigant et une couverture, illustrée par Bastien Lecouffe Deharme, que je trouve magnifique.

Ce roman nous propose donc de revisiter, à sa façon, le mythe de Sisyphe qui, pour ceux qui ne le savent pas, suite à une insulte aux dieux se retrouve condamner à pousser au sommet d’une montagne un rocher, qui revient indéfiniment au point de départ avant d’atteindre le sommet. Ici l’auteur a décidé de se servir de cette image et de remplacer le rocher par l’absurdité de la vie, Sisyphe, interdit de rejoindre le monde des morts, devant rejouer indéfiniment la vie, sans véritable but, ni logique. La première chose qui marque une fois la dernière page tournée c’est la plume de l’auteur qui se révèle soignée, travaillée, fine, profonde, et douée d’une richesse et d’une beauté qui rendent les scènes fascinantes, visuelles et surtout terriblement prenantes. Il construit ainsi un roman mélange de violence, d’aventure, de philosophie et de vie, entrainant le tout porté par des dialogues souvent percutants et ciselés. Le style de ses précédents romans me paraissait déjà de qualité, mais ici je l’ai trouvé encore plus abouti, efficace, épuré, offrant ainsi une histoire sans fioritures et au rythme soutenu, oscillant habilement entre scènes de combats haletantes et discussions plus calmes et profondes.

L’autre point fort du récit vient des nombreuses réflexions qui nous sont proposées tout au long du récit, de tout la philosophie que cherche à faire passer l’auteur. Elle se révèle vraiment fascinante et soulève au lecteur un certain nombre de questions. Que ce soit aussi bien dans la répétition de la vie, qui ne se révèle finalement qu’un cycle sans fin et d’une vacuité profonde qu’on comble par des idéaux et des convictions ; ou bien encore sur la capacité de l’humanité de se déchirer dans des guerres, des batailles, voir des haines sans fondements autre que des visions différentes et qui tendent clairement vers l’aberration et l’incongru, bien amené par les souvenirs du héros qui a le chic de se réveiller en plein milieu de batailles ; ou aussi, par exemple, par ce rejet de l’autre, l’inconnu, le différent, celui qui nous fait obligatoirement peur parce qu’il ne correspond pas exactement à notre idée de l’autre, celui qu’on peut aduler au départ et qu’on rejette ensuite. Il n’oublie pas non plus de nous offrir quelques passages intéressants sur la religion et les dieux. Des idées qui se révèlent parfaitement travaillées, soignées, sans jamais vraiment forcer le lecteur, ne cherchant simplement qu’à le faire raisonner. Le tout est aussi porté par un travail historique qui se révèle pointilleux et détaillé, nous plongeant avec facilité dans certaines des grandes batailles connus, que ce soit dans l’annonce de la déroute romaine, dans la lutte des saxons face aux Francs et Charlemagne, lors de conflits franco-espagnols, et bien d’autres encore. Des guerres qui n’ont, au final, pour seul but que d’offrir, pendant un instant, un but à certains, mais qui au final ne changera pas grand-chose. On sent que l’auteur a mené des recherches.

On rencontre au fil des pages deux personnages qui se révèlent importants, le premier est bien entendu Sisyphe, dont le destin tragique de ressusciter régulièrement le marque aussi bien sur son corps que dans son esprit ; le second est Charon, le passeur vers le royaume des morts, qui ne peut le laisser faire ce voyage et doit ainsi le voir revenir indéfiniment. L’intérêt de ces deux protagonistes vient de leurs différences, leurs visions complètement opposés de la vie, Charon étant un peu le laquais des dieux, obéissant sans jamais poser de questions, là où Sisyphe est celui qui rejette les dieux, cherche à s’amener à leurs niveaux, apportant ainsi d’une certaine façon la destruction de l’ordre. Mais cette dualité est traitresse, car au fil des pages on se rend compte qu’ils sont aussi maudit l’un que l’autre, que, quel que soit le chemin qu’ils ont emprunté, ils se retrouvent, l’un et l’autre, bloqué à devoir rejouer la même scène indéfiniment un peu comme un disque rayé qui ne ferait que tourner en boucle. Le soucis, j’ai trouvé concernant les personnages, vient par contre du manque de chaleur et d’accroche, on a plus l’impression de suivre une pièce de théâtre que de véritablement vivre leurs péripéties. On s’intéresse à leurs malheurs, leurs souffrances, leurs idéaux, mais on n’est jamais complètement happé par eux, comme s’il manquait un petit quelque chose pour les rendre complètement humains. De plus Sisyphe parait un peu trop contemplatif, surtout une fois qu’il apprend la vérité, ce qui est dommage. Mais rien de bien gênant non plus.

Ce roman partait clairement pour être l’une de mes meilleures lectures de l’année jusqu’à environ la moitié du livre où j’ai commencé à légèrement décroché, à un peu moins me fasciner par ce que nous propose l’auteur et cela pour une raison toute simple. L’histoire se répète de trop. Certes c’est un peu le but du mythe, obligé de revivre indéfiniment une vie sans but et sans logique, mais voilà on a l’impression qu’il ne fait que se réveiller au milieu d’une bataille où seule l’époque et la technologie changent, où même les explications des hommes qu’ils rencontrent commencent à se ressembler. Ces répétions font alors qu’on voit alors les choses arriver à l’avance, qu’il y a moins de surprises, moins de rebondissements, on devine clairement le fil conducteur et la finalité du chapitre qui se dessine. Je ne sais pas si l’auteur avait en tête d’accentuer encore plus l’absurdité de la vie humaine, qu’on s’enferme dans les mêmes erreurs, les mêmes tourments encore et toujours, mais en tout cas j’ai trouvé que cette seconde partie perd un peu de son charme, malgré une conclusion sombre, mélancolique et qui, je trouve, se révèle réussie.

Au final on trouve quand même là un livre qui mérite d’être découvert et m’a offert un bon moment de lecture. Un roman qui demande aussi un minimum de concentration et de réflexion, donc si vous ne cherchez que le divertissement il vaut peut-être mieux passer votre chemin. En tout cas un roman qui confirme tout le bien que je pensais de Franck Ferric qui se positionne de plus en plus comme un auteur à suivre.

En Résumé : J’ai passé un bon moment de lecture avec ce nouveau roman de Franck Ferric qui nous propose de revisiter le mythe de Sisyphe de façon clairement intelligente, offrant ainsi au lecteur de nombreux axes de réflexions très intéressants sur la vie, son but, l’acceptation des autres ou encore l’utilité d’une guerre qui finalement n’apporte rien de vraiment concret vu que l’Homme y replonge régulièrement. Un récit qui ne laisse pas indifférent et soulève bon nombre de questions, le tout porté par une plume vraiment dense, magnifique, soignée et travaillée ainsi que par des dialogues percutants. La dualité entre Charon et Sisyphe ne manque pas non plus d’attrait, dévoilant ainsi deux visions d’une vie pour le même châtiment, même si j’ai trouvé qu’il manquait un petit quelque chose pour les rendre complètement attachants. Le principal regret que j’ai concernant ce roman c’est qu’au milieu du récit on en comprend la construction, il devient alors un peu répétitif, perdant un peu de son charme. Rien de non plus bloquant, mais qui l’empêche de se révéler excellent ce qui est dommage. Par contre, si vous ne cherchez que le divertissement passez votre chemin, ce roman demande un minimum de concentration. En tout cas l’auteur se positionne de plus en plus comme un auteur à suivre et je lirai sans soucis ces autres écrits.

 

Ma Note : 8/10

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  1. Un livre qui me rend très curieuse notamment par son titre, merci pour cette chronique 🙂

  2. florel

    Tu vois ce n’est pas mon genre mais je voulais essayer. Mais il me tente moins en moins, comme les autres ton avis est trop mitigés, malgré quelques points intéressants.
    J’hésite toujours finalement. XD

    • Arf je peux pas trop t’aider alors, pour moi c’est un roman vraiment dense et intéressant mais je comprends qu’on puisse ne pas accrocher.

  3. Superbe écriture, et une narration qui reprend la malédiction du personnage (qui peut déranger au bout d’un moment, mais ça place le lecteur dans la même situation que Sisyphe et lui fait donc ressentir les mêmes tourments).
    Une excellente lecture !

    • Ah l’écriture est magnifique, je ne reviens pas là-dessus. Après la malédiction qui force le personnage à ressuciter je la comprends mais à force on en comprends les ficelles, un peu de variation m’aurait peut-être plus accroché.
      Content qu’il t’ait plu en tout cas.

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