Résumé : Dans un monde où la société est devenue artificielle, les intelligences artificielles pourraient-elles faire société ?
Quatre personnages – un trader, une chanteuse pop, un ancien tireur d’élite, une joueuse de jeu vidéo multijoueurs : chacun croit jouer pleinement sa carte sur l’échiquier de la société sans percevoir qu’il est piégé dans des fictions confortables dont il n’est pas le seul acteur.
Plus un. Hans / Joachim dont ils croisent tous la route. Ce mystérieux jeune homme, tantôt séduisant, tantôt menaçant, est décidé à confier le destin de nos sociétés à des machines. Ce qui va contraindre nos personnages à coopérer, à se rencontrer pour empêcher l’irréversible.
Et des IA…

Edition : L’Atalante
Poche : L’Atalante poche

Mon Avis : Après avoir enfin réussi à lire un livre, j’ai décidé , pour ne pas perdre le rythme, de sortir un autre livre, cette fois de ma PAL. J’ai porté mon choix sur Les Machines Fantômes d’Olivier Paquet. J’ai toujours apprécié le travail l’auteur et je n’ai jamais été déçu par ses écrits. Pour autant je sais qu’il propose des récits assez denses et complexes ; cette lecture était donc un peu un « crash test » pour voir jusqu’où mon renouveau de lecture pouvait aller. Globalement, le retour est plus que positif, puisque j’ai terminé ma lecture de ce roman, certes en trois mois, mais j’en étais très satisfait. A noter qu’avec cette chronique, je tente une construction différente. J’ai beaucoup de mal à écrire des chroniques, me sentant coincé à remplir des « cases » selon un déroulé linéaire, je tente donc une présentation différente tout en tentant de ne pas trop être bordélique. Ce sera peut-être très court sur certains articles, parfois trop long sur d’autres, mais si je ne tente pas, je risque de ne plus écrire par manque d’envie et de plaisir.

J’avoue, je me demande si ma lecture aurait été la même si j’avais lu le roman à sa sortie en 2019. J’aurais tendance à dire que, globalement oui, mais quand même la question se pose. Parce que bon, un roman traitant des IA, qui plus dans une présentation de co-évolution entre humains et IA, n’a peut-être pas le même impact au balbutiement de ces dernières et six ans plus tard avec tout ce qui a été dit, présenté ou écrit à ce sujet. Et pour nous présenter ses thématiques, Olivier Paquet a décidé de construire ce qui est, selon moi, un techno-thriller, se situant dans un futur proche. J’aime bien l’idée, encore une fois surtout de nos jours, d’imaginer des IA au centre de « groupes » de héros, qui vont s’entredéchirer, avec au centre ce qu’on pourrait considérer comme l’avenir de la liberté. Ou plutôt devrais-je dire l’avenir de son « soit-disant » libre-arbitre.

Mais commençons par présenter nos factions en jeu. D’un côté on a Adrien, le Trader qui va rapidement tout perdre et de voir se cacher, Aurore la pop-star qui se voit de plus en plus concurrencer par une version plus jeune de son persona, Kader un ex-sniper de l’armée qui travaille maintenant pour de boîtes privée tout en devant s’occuper d’une famille compliquée et enfin Lou codeuse qui adore, peut-être un peu trop, se lancer dans les MMORPG, mais qui a plus du mal à gérer le contact humain. Groupe improbable, qui va se croiser de façon forcée par le jeu de manipulation de Hans/Joachim personnage nébuleux qui va plus au moins influencer la vie de nos protagonistes, pour un projet assez insensé. En plus de ce dernier, notre groupe d’antagoniste comprend aussi le Père, parce-qu’il faut toujours « Le Père », mais j’y reviendrai.

Là où, je trouve, ce récit arrive à apporter un gros plus, c’est la capacité de l’auteur à inscrire son intrigue dans un récit intimiste. La construction de chacun des héros est assez captivante, ou plutôt devrais-je dire la déconstruction. On découvre initialement non pas qui ils sont, mais plus les personas qu’ils présentent au monde. Ils paraissent ainsi enfermé dans des personnages qu’ils se forcent à jouer pour la société. Une société qui les pousse à rechercher un bonheur impossible et qui en même temps les « détruit » avec une facilité déconcertante. Seul Kader sort peut-être un peu de ce schéma, il est déjà brisé par l’après-guerre et se plonge plutôt dans une quête pour retrouver son persona. Retrouver ce qu’il a perdu, pour rentrer à nouveau dans un moule. C’est d’ailleurs, d’une certaine façon, le personnage qui se démarque le plus possible à mes yeux, offrant de vrais passages tout autant touchants que marquant, quand il s’occupe de sa famille (son frère et son grand-père). Ces personas représentés sont d’ailleurs le reflet d’une société actuelle, qui ne sait pas s’occuper individuellement de sa population, qui la force uniquement enfiler des masques pour entrer dans des cases prédéfinis, validés et dont il est très difficile de sortir sans conséquences.

C’est suite à la rencontre/rupture avec Hans/Joachim et les IA qu’ils vont alors être forcé de se dévoiler plus profondément et en conséquence amener un regard différent sur notre monde et ses rouages. En bien ou en mal. C’est d’ailleurs ce qui permet de rendre l’intrigue, qui est au final une traque plutôt classique et efficace, plus prenante je trouve. Cette déconstruction de nos héros vers qui ils sont profondément. La découverte de leurs histoires, leurs sensibilités individuelles, leurs visions de notre monde, apporte ce petit plus qui m’a fait m’accrocher à eux et tourner les pages. Au final ils sont tous humains, car même les antagonistes ont des failles et des émotions. Même si concernant ces derniers, je suis un peu sur ma faim concernant leur traitement. On découvre des « ennemis » au final très convenu dans leurs développements. Entre Hans/Joachim, traumatisé durant toute son enfance, qui se cherche un rêve échappatoire et (sans essayer de trop spoiler) le Père qui n’est qu’un archétype représentatif en premier de l’autorité et aussi d’une société qui se fout des autres, cela ça m’a paru manquer peut-être d’un peu de « folie ». Ils ne sont pas mauvais, remplissent leurs rôles et ils fonctionnent bien dans le récit. Mais cela reste du déjà-vu.

Alors on parle, on parle, mais on n’a toujours pas abordé ces fameuses IA qui sont quand même au centre du récit. Il est à noter que j’ai rapidement accroché à la vision de l’auteur. Encore une fois, comme dans Jardin d’Hiver, il ne cherche pas à encenser, juger ou diaboliser une technologie, il ne la représente que dans ce qu’elle est finalement. Une technologie, certes puissante, certes ici quand même romancée, mais qui ne peut rien faire sans action de l’humain. Finalement ce n’est pas l’IA, qui est déjà présente dans l’univers de ce récit depuis longtemps, qui va vouloir changer la société, c’est bien cette influence des humains qui va en être le déclencheur. Attention le récit ne dit pas que les IA ne peuvent pas être mauvaises, il dit juste que la technologie est plutôt neutre et que c’est l’appropriation de chacun, voir on ne va pas se mentir, des entreprises, qui va alors définir le curseur. J’ai aussi aimé la représentation visuelle qu’en fait l’auteur, poétique, n’offrant pas de représentations mécaniques, mais plus organique, vivante à travers des animaux, des vagues, etc…

Mais l’IA ici amène aussi principalement d’autres questions plus profondes sur nous-même. Une humanité perdue, sans vraies repères autre que les cases construites depuis des années, dans lesquelles on se force à rentrer pour répondre aux normes et paraître aux regards des autres. D’une certaine façon cette « guerre » des IA est surtout un prétexte pour lever le voile sur notre façon de vivre. Un monde qui apparait au final sans rêve véritable, sans bonheurs simples, pleine de défauts, de jugements, de rejets, etc… Cela se voit, je trouve, dans un premier temps dans le développement de nos héros, mais aussi des ces interludes qui dévoilent des protagonistes complètement hors du récit, présentant leurs probabilités de vie. On a un peu l’impression que chacun cherche une sorte de réponse, une sorte de guide et que les IA, dans les fantasmes les plus fous, le deviendrait. Limite en remplacement d’un Dieu qui guiderait ses disciples.

Alors après certains points m’ont tout de même un peu dérangé durant ma lecture. Déjà dans la représentation des IA, je trouve un peu surprenant que, devant tout ce qu’elles arrivent à faire, cela ne fasse réagir personne. On parle quand même de plusieurs IA qui abandonnent en partie leurs fonctions primaires pour aider et manipuler énormément de réseaux pour nos héros. J’ai aussi eue une impression de vide dans le récit. En dehors de nos protagonistes principaux et à peine quelques personnages secondaires qui ont une importance, on a l’impression d’une France « vide ». Tout du long, j’ai eu ce sentiment que tout ce que pourraient faire nos héros n’auront aucun impact sur l’extérieur. Un peu comme si les gens et la société étaient complètement déconnecté, alors que les actes de nos héros vont quand même entrainé quelques conséquences non-négligeable. Bon après ce ressenti reste un peu à la marge et n’a en rien complètement gâché ma lecture. J’ai aussi trouvé que le chapitre, qui est juste là pour humaniser encore un peu plus Hans/Joachim, n’apportait pas grand-chose et paraissait de trop. On avait déjà compris d’où venait le traumatisme de notre héros et ce passage ne parait juste-là pour essayer de nous appuyer trop fortement que le méchant, au fond, n’est pas si méchant. De plus, situé juste avant le final j’ai eu cette impression aussi du chapitre qui fait tout pour ralentir l’arrivée de la conclusion, histoire de maintenir une pression.

Après, petit point personnel, je ne savais pas ou le mettre alors je l’écris là. J’ai bien aimé ce chapitre sur le festival de livres qui, je ne sais pas si l’auteur y apporte un peu sa touche personnel, a réussi à toucher juste, pour moi, sur le livre. C’est aussi un point de basculement, à mon avis, dans le récit, apportant peut-être l’un des passages les plus forts humainement du récit. Je pense avoir fait le tour sur ce que je pensais de ce livre, en tout cas il m’a offert un très bon moment de lecture. Que ce soit dans son intrigue, ses personnages, mais aussi dans ses messages, et même s’il a quelque légers défauts, il a réussi à me captiver de bout en bout.

En Résumé : Les Machines Fantômes nous propose d’aborder les thématiques des intelligences artificielles dans un futur proche, explorant de façon habile la co-évolution entre humains et IA, le tout dans un techno-thriller. On se retrouve à suivre différents héros, Adrien, Aurore, Kader et Lou, aux trajectoires diverses, se retrouvant mêlés aux manipulations de Hans/Joachim, un personnage ambigu. Le récit se démarque à travers la dualité de chacun entre leurs histoires intérieures et les masques qu’ils portent dans une société qui exige le conformisme. L’intérêt du récit vient aussi dans cette représentation neutre de l’IA ; pas que l’IA ne peut pas être mauvaise, au final c’est l’utilisation qui en est faite qui définit cette notion de moralité. L’intrigue nous questionne aussi sur une humanité en quête de sens dévoilant à travers les protagonistes une société perdue, cherchant des repères dans un monde façonné par des normes, des cases. Le récit possède bine quelques défauts, cette impression d’IA pouvant tout faire sans que personne ne remarque rien, cette sensation d’un monde un peu vide ou encore un avant dernier chapitre un peu de trop. Pour autant, il m’a offert une lecture captivante, riche en réflexions sur notre condition humaine et les défis posés par la technologie.

Ma Note : 8/10

Autres avis : Feygirl, Yuyine, Zina, Maki, Boudicca, JustAWord, …