Dr Adder – K.W. Jeter

dr adderRésumé : L.A. est partagé entre d’un côté la Zone-Rat, où échouent les marginaux et les membres du Front de libération, et de l’autre le comté d’Orange, repaire des nantis drogués à leur poste de télévision. Entre les deux, l’Interface, zone neutre où déambulent les putes modelées selon les désirs et pulsions secrètes des clients par le bistouri du Dr Adder, idolâtré par certains, voué aux gémonies par d’autres.
E. Allen Limmit a quitté son Phoenix natal et son Unité de ponte pour vivre lui aussi la grande aventure de L.A. Poussé à rencontrer le fameux chirurgien, il ne se doute pas qu’il va être pris entre les feux croisés du docteur et ceux de son ennemi juré, John Mox, télévangéliste à la tête de l’armée des Forces morales au sein d’une ville à l’âme aussi vérolée que désespérée…

Edition : ActuSF

 

Mon Avis : Ce roman traine dans ma PAL depuis les Utopiales 2014 où l’auteur avait été invité. Présenté comme un classique de la SF, il avait, à ce moment-là, terminé dans ma PAL suite à plusieurs recommandations et à quelques conférences de l’auteur qui m’avait donné envie de le découvrir, surtout que l’auteur m’avait très agréablement surpris avec sa nouvelle Dernières Volontés publiée dans l’anthologie 2014 des Utopiales. C’est donc sans surprises, malgré c’est vrai un temps un peu long, que j’ai décidé de me laisser tenter par ce livre, surtout que la couverture, illustrée par Eric Holstein, se révèle accrocheuse par son côté sobre et clinique et le résumé du livre annonce clairement une lecture choc.

On plonge ainsi dans un Los Angeles futuriste, partagé entre en plusieurs zones, toutes avec leurs vices et leurs vertus et où deux hommes se livrent une guerre sans merci ; le Dr Adder, symbole de liberté pour une jeunesse en perdition et sans repères, chirurgien « esthétique » de renom complètement barré qui réalise les fantasmes les plus tordus et John Mox télévangéliste, prônant la morale et la religion, contrôlant les foules par sa prêche. C’est au milieu de cette « guerre » que va plonger E. Allen Limmit qui cherche à devenir quelqu’un. Déjà je souhaite clarifier un point, ce livre est présenté comme un roman cyberpunk et j’avoue que je ne l’ai jamais ressenti comme tel. Punk dans sa fougue, son rejet et sa violence je veux bien, cyber pour moi non et l’utilisation d’écran et de quelques connections ne me suffit pas à tenter de le classer dans cette catégorie pour moi.

Sinon ce roman? Je dois bien avouer qu’il s’est révélé percutant et terriblement efficace que ce soit dans son ambiance sombre, son rythme tendu et ses questionnements. Alors autant vous avertir, la violence, le cynisme et le sexe sont très présents dans ce récit, je ne parle pas obligatoirement d’une présence saturé à l’extrême qui tombe dans le morbide ou le cul gratuit, mais plus dans son côté légèrement dérangeant. La ville de LA, ou plus précisément l’interface, est ainsi tombée dans une véritable décadence ou les fantasmes les plus sombres sont devenues les plus demandés. C’est d’ailleurs de là que tient son pouvoir le Dr Adder, étant le seul à disposer de la capacité de ressortir les fantasmes les plus sombres de chacun et surtout à leur offrir vie sous son scalpel, transformant ainsi les prostituées en monstre (au sens parfois littéral du terme par amputation et autres procédés) de plaisir. On se retrouve ainsi plongé dans une univers très sombre, exacerbant deux grands aspects liés aux USA, voir même au monde entier que sont cet intégrisme souvent lié à la morale, au puritanisme et à la religion ainsi que cette liberté totale, cette montée de la violence et du libertinage souvent lié à une génération en perte de repère. Alors attention je ne dis pas que cette violence et cette sexualité se révèlent bloquant, loin de là, mais elles peuvent surprendre certains lecteurs. Car oui, ce que cherche l’auteur finalement par cet aspect « choc » c’est de nous secouer, nous ouvrir les yeux sur des problématiques de fond qui, pour ma part, m’ont paru intéressantes et surtout toujours d’actualité malgré un roman publié il y a plus de 30 ans (écrit en 1973 et publié en 1984).

Le grand intérêt du récit vient ainsi du message que le récit cherche à faire passer, les nombreuses réflexions qu’il soulève souvent avec force et percussion, principalement sur cette jeunesse perdue, sans avenir, qui n’arrive pas à se trouver une place, trouver sa place, dans un monde qui ne les corresponds pas vraiment et qu’ils n’arrivent pas à changer. Il ressort de ce récit une sorte de désespoir qui est balancé au visage du lecteur qui le marque et qui, finalement, reste bien présente même dans notre société actuelle. Il nous plonge aussi au plus profond de l’Homme, nous rappelant que nous ne sommes pas toujours très reluisants, que nous possédons clairement un côté sombre, voir très sombre qui peut parfois aller très loin, où les vices les plus tordus et les plus détraqués trouvent finalement corps dans les zones de non-droits. On n’oubliera pas non plus cette guerre entre le côté puritain et religieux, qui lui aussi cache ses propres folies, et cette liberté amenée ici à son paroxysme, ne laissant pas le lecteur indifférent le poussant à se poser de nombreuses questions que ce soit finalement sur notre société, mais aussi sur soi-même. On y trouve aussi une critique efficace sur la presse, la télévision et plus précisément sa « lobotomisation » par les images ou encore sur la littérature et son aspect subversif si facilement manipulable. Ce roman propose ainsi au final un récit qui dérange, mais plus dans le sens où il cherche à réveiller le lecteur, à le secouer, sans non plus le forcer à suivre un chemin balisé, le laissant faire ses propres raisonnements. Alors certes, certains aspects ont un peu vieilli, mais le message de fond reste toujours bien présent et prenant.

Le récit ne manque pas non plus de rythme, ni de souffle, se révélant haletant du début à la fin avec son lot de surprises, de rebondissements et d’action qui font qu’on tourne les pages avec l’envie d’en apprendre plus. On est pourtant parfois dérouté par cette plongée dans ce monde, ne comprenant pas toujours où il veut en venir, avant que les pièces se mettent en place pour offrir une conclusion explosive et haletante. Autre point qui se révèle vraiment intéressant ce sont les personnages, principalement le héros Allen ainsi que le Dr Adder. Ils se révèlent complètement différents dans leurs façon de voir la vie et surtout de la vivre, Alen se révélant plus attentiste là où Adder représente la fougue et la violence, Adder représentant finalement une sorte de folie et d’impulsivité là ou Allen et lui son antithèse la logique, le calme, la réflexion, mais qui pourtant paraissent les deux faces d’une même pièce. Un peu comme dit dans le roman, les deux couches d’un esprit. Alors certes, on pourrait reprocher un léger manque d’épaisseur dans leurs constructions, mais l’ensemble est balayé tant leurs interactions et surtout les dialogues qui les porte se révèlent percutants et travaillés. Les personnages secondaires ne manquent pas non plus d’intérêt, offrant une palette de protagonistes large dans les idées et les folies. Alors certes il manquent parfois un peu d’émotion j’ai trouvé, mais rien de non plus trop dérangeant.

On sent par contre qu’il s’agit d’un premier roman à travers certains passages qui m’ont paru manquer d’un peu de fluidité, ou encore par rapport à une ou deux idées qui m’ont paru traités un peu trop superficiellement. Je regrette aussi finalement une dualité un peu binaire entre la religion et le « vice » alors que le personnage de Mary aurait pu, je trouve, apporter une autre voie, un autre message, mais qui est complètement « étouffé » par cet affrontement. Au final rien de non plus bloquant tant l’ensemble se révèle corrosif, puissant et qui, sous son image très sulfureuse, offre une réflexion sur notre société qui reste d’actualité et ne laisse pas indifférent le lecteur. L’ensemble se révèle aussi bien porté par une plume percutante, sombre, entrainante qui porte assez facilement le lecteur dans ce récit. Je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui, au travers d’un aspect choc et sulfureux, offre de nombreuses réflexions que ce soit sur la jeunesse désabusée, la presse, l’influence de l’image ou encore sur l’extrémisme religieux et son pendant l’extrémisme libertaire. Un récit puissant et percutant qui ne laissera pas indifférent et qui fait réfléchir, dont on tourne les pages facilement, bien porté par un rythme efficace et entrainant qui monte en tension pour aboutir à une conclusion explosive et haletante. L’univers sombre, sans concession, sans véritable loi autre que celle du pouvoir et sans espoir développé par l’auteur se révèle finalement intéressant et colle parfaitement au récit et à ce que souhaite mettre en exergue l’auteur. Les personnages se révèlent intéressants à suivre, principalement les deux héros que sont Allen et Adder à la fois par leurs antagonismes et leurs ressemblances. Les personnages secondaires offrent aussi une palette de protagonistes intéressant, même si parfois ils manquent un peu d’émotion. Après je reprocherai parfois une certaine fluidité ainsi qu’une dualité un peu binaire dans la confrontation alors qu’une troisième voie était possible, mais rien de bloquant tant l’ensemble possède une force telle que je me suis laissé emporter. La plume de l’auteur est percutante, entraînante et vive et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 8/10

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  1. Cette chronique donne plutôt envie. Je ne connais pas l’auteur, mais j’ai bien envie de le découvrir à travers ce bouquin.

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