Il Faudrait pour Grandir Oublier la Frontière – Sébastien Juillard

Résumé : Les années 2050 à Gaza. Née sur les cendres des vieilles guerres, la Palestine est une réalité fragile. Mais à Gaza, on est libre.
Keren Natanel, officier israélien en mission détachée pour l’ONU, enseigne les langues dans une école pour femmes de la Bande. Sa trajectoire croisera bientôt celles de trois hommes : Jawad, l’ingénieur cybernéticien, Bassem, le fou de Dieu et Marwan, politique et homme d’affaires. Trois Gazaouis qui partagent avec elle une même question lancinante : Quel futur possible sur cette terre encore blessée, où l’inépuisable colère le dispute à la lassitude et aux illusions identitaires jamais dissipées ?
(source résumé : Babelio)

Edition : Scylla

 

Mon Avis : Fin de l’année 2014 Scylla, librairie parisienne où je tente d’aller me promener régulièrement, se lançait dans un financement participatif pour permettre le lancement de sa maison d’édition. Deux livres étaient ainsi prévus, Roche-Nuée (que je chroniquerai prochainement) et cette novella Il Faudrait pour Grandir Oublier la Frontière. J’ai été rapidement intéressé par les oeuvres proposés et j’ai donc participé au financement. Je trouve la couverture, illustrée par Laurent Rivelaygue, réussie et donnant envie de découvrir ce texte et le livre en lui-même est un très bel objet. Concernant cette novella, elle entre dans la collection 111 111, soit le nombre total de signes que doit contenir ce récit, soit en gros moins de 75 pages.

Ce texte nous plonge dans un futur proche, à Gaza, où une paix fragile vient de s’installer entre Israël et l’état Palestinien. Keren Natanel, une Israélienne intégrée aux forces de l’ONU, enseigne les langues dans une école pour femmes. Gravite autour d’elle trois hommes, ayant chacun une vision différente du conflit et vont, par leurs actes et leurs rencontres, bouleverser cette paix et soulever un bon nombre de questions. Je dois bien avouer que ce court récit, une fois la dernière page tournée, a réussi son pari. Il m’a ainsi offert un très bon moment de lecture, principalement dans toutes les questions qu’il soulève, mais aussi dans le traitement qu’il propose de l’histoire et de cette guerre. Déjà le premier point très intéressant de ce texte c’est que l’auteur ne prend aucun parti, il n’est pas là pour nous proposer sa vision du conflit ou de vouloir offrir des accusations, voir encore des solutions. C’est d’ailleurs une excellente chose car, au vu du sujet sensible, il aurait pu tomber dans la caricature, voir complètement passer à côté du sujet et se perdre. Hors là, l’auteur nous plonge ainsi dans différentes tranches de vies qui vont s’entrecroiser et offrir aussi bien une sensibilité touchante que de nombreuses réflexions efficaces tout du long. Qu’on soit bien clair, il n’y a ici pas franchement d’intrigue, mais plus des moments d’histoires liés à des personnages et, même si cela pourra en déranger certains, c’est ce qui pour moi fait la grande force du récit et le rend si réaliste.

L’auteur nous pousse aussi au fil des pages à réfléchir, à tenter de se mettre, d’une certaine façon, à la place de ces protagonistes, à tenter de comprendre et de réfléchir sur leurs besoins, ainsi que les causes et les conséquences de leurs actes. C’est par ce procédé qu’il soulève de nombreuses questions et réflexions, qu’elles soient aussi bien d’ordre sociales, humaines, politiques, culturelles voir encore théologiques. Mais finalement la grande question soulevée en fond, et qu’on retrouve dans le titre, c’est la notion de frontière, que ce soit aussi bien celles soit-disant physique qu’on retrouve sur des cartes, comme celles qu’on se fixe nous-mêmes et qu’on nous fixe. Ces lignes imaginaires qui amènent leurs lots de contraintes, de violences, de rejets. D’ailleurs le développement de cette idée n’est pas sans faire écho à notre époque actuelle et aux nombreuses façons dont l’on peut voir la frontière et la notion que l’on y met derrière. Il faut aussi dire que ses réflexions sont portées par des personnages que j’ai trouvé profondément humains, que ce soit dans leurs actes comme parfois dans leurs folies. On découvre ainsi des héros blessés de manières différentes, perdus, qui cherchent un but à leur vie que ce soit à travers leurs actions comme dans leurs sentiments. Entre haine, peur, souffrances ou encore acceptation, chacun tente de tracer sa voie, qu’on les apprécie ou non. Chacun d’entre eux possède aussi sa propre vision sur ce conflit et tout ce qu’il entraîne, une vision liée aussi bien à leurs vécus, qu’à leurs illusions. C’est clairement eux qui portent le récit par leurs actes, leurs choix et ce qu’ils nous transmettent même à travers leurs non-dits.

Enfin dernier point qui m’a marqué c’est le travail de l’auteur au niveau de son écriture. On sent clairement une grande maîtrise de son récit qui peut à la fois se révéler âpre, dur et poétique, touchant et marquant. L’aspect SF reste très sobre, offrant qu’une légère couche technologie qui apporte un plus à l’ensemble sans non plus trop en faire. Je n’ai pas non plus compté, mais se mettre une telle contrainte de signe et réussir à proposer un texte aussi soigné et intéressant mérite d’être souligné. Alors après on pourrait peut-être regretter une plume qui cherche par moment à trop en faire parfois au profit de l’émotion, ou bien certains retournements de situations dont j’ai trouvé qu’ils en faisaient légèrement trop, mais franchement rien de non plus trop dérangeant tant j’ai trouvé ce texte réussi, percutant et franchement efficace. J’ai vu qu’il y a une nouvelle de l’auteur, mise à disposition gratuite sur le site des éditions Scylla, je pense la lire très prochainement.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec cette novella qui nous plonge à Gaza, dans un futur proche, où une paix fragile vient de s’installer. On va alors suivre des instants de vie de quatre personnages qui ont des existences et des visions complètements différentes. Il n’y a pas ici clairement d’intrigue, ce qui pourrait en bloquer certains, mais plus une tranche de vie de chacun, le tout traité habilement et avec une certaine poésie et qui amène sont lot de réflexions. Surtout que l’auteur ne cherche pas à nous imposer ses idées, ne prenant aucun parti, nous présentant ainsi différents points de vue qui lui permettent ainsi à chacun de s’exprimer. Il ne tombe ainsi jamais dans la caricature. Les réflexions soulevés ainsi ne manquent pas de faire réfléchir qu’elles soient humaines, sociologiques, théologiques ou encore par exemple sur cette notion de frontière et ce qu’on y met derrière. Cette notion résonne d’ailleurs fortement avec notre époque actuelle. Le tout est aussi porté par des personnages humains, touchants, loin d’être manichéens. On découvre ainsi ce qui les a forgé, leurs forces, leurs blessures, leurs buts et on se rend compte que finalement ils ne cherchent qu’à exister au travers du prisme qu’ils croient le mieux. Qu’ils soient dans un camp ou dans l’autre, on les comprends d’une certaine façon. La plume de l’auteur s’avère clairement maîtrisée, à la fois âpre et poétique et même si parfois il cherche un peu trop à en faire, elle happe rapidement le lecteur. Alors je pourrai reprocher quelques passages trop courts ou bien quelques rebondissements qui m’ont moins accroché, mais franchement rien de très dérangeant tant ce récit est intelligent et prenant. Je lirai d’autres textes de l’auteur sans soucis.

 

Ma Note : 8/10

 

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  1. C’est un très joli texte, je confirme !

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