Issa Elohim – Laurent Kloetzer

Résumé : Europe. Demain.
Dérèglements climatiques, terrorisme et guerres confessionnelles secouent les restes d’un ordre mondial en miettes et jettent des millions de réfugiés sur les routes. L’horizon est fluctuant ; le monde se recroqueville face à un futur incertain et menaçant. Et puis il y a les Elohim — ou prétendus tels. Des êtres exceptionnels, mystérieux, porteurs d’un espoir nouveau, et qui semblent s’incarner sur Terre de manière aléatoire.
Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Que sont-ils ?
Valentine Ziegler est pigiste. Lorsque, depuis sa Suisse natale aussi préservée que sécurisée, elle entend parler de la présence possible d’un de ces êtres dans un camp de réfugiés tunisien géré par l’agence européenne Frontex, elle auto-finance en hâte son voyage dans l’espoir d’un reportage digne d’intérêt. Valentine est toutefois très loin d’imaginer au devant de quoi elle se précipite, l’étendue de la révolution à laquelle elle va se mesurer. Une possible épiphanie à même de changer sa vision du monde, si ce n’est le monde tout entier…

Edition : Le Bélial’

 

Mon Avis : Qui dit nouvelle année, dit par conséquent nouveaux textes publiés dans la collection du Bélial’ : Une Heure-Lumière. Alors, même si je vais me retrouver prochainement face à une problématique (j’ai déjà lu La Ballade de Black Tom en VO, la couverture me fera-t-elle prendre la VF (j’en doute quand même)), je n’allais pas passer à côté de cette première publication de 2018, qui plus est nouveau texte de Laurent Kloetzer dans le même univers que Vostok et Anamnèse de Lady Star. Il faut dire aussi que la couverture, toujours illustrée par Aurélien Police, est franchement superbe, offrant comme d’habitude à la collection un superbe écrin je trouve.

Cette novella nous plonge dans un avenir proche où l’on suit une journaliste, Valentine Ziegler, venue en Tunisie pour un article sur les cadres en vacances humanitaires, mais qui va se retrouver à finalement écrire sur un Elohim, appelé Issa, qui est apparu dans le coin et qui va alors tout bouleverser. En effet, considéré un peu comme des messies par une partie de la population, tout va être tenté pour le faire migrer vers la Suisse. Déjà il faut le savoir, même si ce texte s’inscrit dans le même univers que d’autres récits de l’auteur, il peut se lire indépendamment sans problème ni blocage. Comme toujours avec cette collection, elle nous propose un texte qui, je trouve, ne laisse pas indifférent et vient nous offrir de nombreuses réflexions. Pour ma part j’ai été rapidement happé par ce récit qui m’a offert un très bon moment de lecture. Il faut dire que Laurent Kloetzer arrive à brasser de nombreuses idées, de nombreux aspects et de nombreuses réflexions le tout en visant juste et en offrant un texte qui trouve un juste milieu, ce qui le rend très intéressant et captivant à découvrir. La quête de l’héroïne, à la fois pour trouver la vérité mais aussi pour aider Issa à quitter les camps est fluide, intelligente et efficace, le tout avec une touche de fantastique qui apporte, je trouve, un plus au récit.

Ainsi, le premier point qui vient faire réfléchir le lecteur c’est cette aspect sur l’immigration et le traitement qu’en fait l’auteur. On plonge ainsi dans un futur où l’Europe est plutôt préservée des crises qui viennent frapper de nombreux pays pauvres, provoquent un flot énormes de personnes qui cherchent à fuir. Un avenir loin d’être utopique,sombre, proche finalement aussi de notre actualité. On découvre alors les doutes liés face à ces mouvements, le regards de ces Européens face à ce qu’ils peuvent parfois considérer comme une « invasion », une intrusion qui vient bouleverser leurs habitudes. On ressent qu’il y a toujours cette envie de remettre en cause cette crise, de remettre en cause leurs besoins de fuir leurs pays pour pouvoir préserver leurs paix à eux, car la crise est partout, même si elle ne touche pas obligatoirement de la même façon. Surtout, à travers les quatre adolescents, Issa et ses trois amis, l’auteur tente aussi de nous montrer ce qu’est un camp, les risques qu’il y a, les trafics humains que cela peut engendrer avec des profiteurs qui cherchent à se faire de l’argent en faisant croire qu’ils peuvent faire passer les frontières aux immigrés. Les nombreuses problématiques humanitaires et sociales que de tels crises engendre nous fait alors réfléchir sur la chance que l’on peut avoir, mais aussi de la façon dont on ferme les yeux sur de tels problèmes. On se rend aussi comptes des inégalités qui peuvent exister, de l’aspect très froid et figé qu’est la demande de papiers cette gigantesque machine qui avance très voir trop lentement. Surtout l’auteur le fait de façon neutre, ne cherchant pas à nous imposer ses arguments ou sa vision des choses, ne proposant pas non plus du larmoyant à outrance, mais plus à dévoiler un cas plausible et amener le lecteur à se poser ses propres questions.

L’autre gros point traité par cette novella vient du côté fantastique du récit, du fait que Issa pourrait être un Elohim, des êtres mystérieux qui apparaissent sans raison apparent sur terre et dont la seule façon de les reconnaitre c’est cette capacité inattendu de disparaitre et de réapparaitre. Cela amène donc obligatoirement un clivage de la population entre ceux qui prennent ces « êtres » pour des divinités, des anges, et ceux qui les considèrent comme des supercheries, des hoax qui cherchent à profiter de la crédulité. Une vraie notion finalement religieuse, à travers le culte qui se crée autour d’eux, mais que l’auteur traite de façon très intéressante, là aussi ne cherchant pas à imposer un point de vue, où ses réflexions, ne prenant pas obligatoirement un parti pris. Tout le long du texte est présent une certaine ambiguïté qui se ressent même dans la nature humaine la plus profonde, puisque même nos héros vont, par moments, remettre en cause le statut d’Issa, cherchant une supercherie qui aurait été mise en place pour que quatre jeunes puissent s’offrir une vie meilleure. Il offre ainsi une vision d’un monde qui d’une façon a besoin de croire, qui a besoin de se dire qu’un miracle est peut-être possible, mais qui d’un autre côté n’a pas envie de tomber dans la crédulité, qui est désabusé tant le mensonge est toujours présent et bien présent dans la société. Il y a ainsi un vrai clivage très présent de nos jours entre la notion de foi et la notion de vérité, l’aspect miracle et la notion de trucage, où la question de la « croyance », de son intérêt et de son importance est finalement posé à chaque lecteur et où chacun apportera sa réponse.

La grande force de ce récit vient surtout de l’aspect humain qui se dégage de cette histoire. On n’est clairement pas dans l’envie d’enfoncer des portes ou de vouloir secouer le lecteur par des phrases et des aspects chocs. Tout repose ainsi sur les personnages, principalement trois d’entre eux, Issa le jeune réfugié Elohim, Valentine la journaliste et Boris le politicien. Ces trois personnages portent vraiment le message du récit, ne tombant jamais dans le manichéisme, offrant des héros complexes, loin de l’image qu’ils pourraient donner d’eux initialement. Chacun d’entre possède ainsi ses qualités et ses défauts, offrant ainsi des protagonistes pour lesquels on accroche facilement, loin d’une perfection ou d’une caricature. Issa est ainsi un personnage touchant dans son rôle d’adolescent rêveur et porteur d’un message de paix. Valentine représente un peu l’ambiguité, à la fois marqué par le destin de ses jeunes, mais qui doute de l’aspect divin de son leader. Enfin Boris qui est présenté comme un membre d’un parti extrême en politique, mais qui va finalement offrir un personnage plus complexe qu’on pouvait s’attendre, plus humain d’une certaine façon. Chacun d’entre eux offre ainsi une vision différente.

Après, j’avoue, mon seul petit regret de ce roman vient d’un aspect émotionnel qui m’a paru manquer légèrement de puissance. Je n’ai ainsi jamais été complètement touché par Issa, ce qu’il a vécu, comme si le message prenait parfois un peu l’ascendant sur les sentiments. Alors clairement c’est un point qui est purement subjectif et ne concerne que mon ressenti, mais comparé à d’autres textes de la collection Une Heure Lumière, oui ce petit manque m’a paru rendre ce texte un peu moins marquant. Peut-être que quelques pages de plus aurait pu compenser ce manque, je ne sais pas. Attention, cela n’enlève en rien tout ce que soulève cette novella, toutes les questions qu’elle nous fait poser, ni même l’image qu’elle transmet et qui ne laisse pas indifférent. J’ai tout de même passé un très bon moment de lecture, le tout porté par une plume efficace, vivante et entraînante. Je lirai sans soucis d’autres textes de l’auteur.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec cette novella qui nous offre un texte qui ne laisse pas indifférent dans les questions qu’il pose, mais aussi dans l’image qu’elle dévoile. Le premier point captivant à découvrir vient de cet aspect sur l’immigration que développe l’auteur. Dans un monde en crise, sombre, où l’Europe s’en sort mieux que les autres, mais doit faire face à un flot d’immigration et c’est ce que retranscrit ce roman. La peur des uns et des autres, les changements que cela occasionne, la lente machine diplomatique ou bien encore la survie et les trafics que ce genre de drames occasionnent obligatoirement. Le second point de réflexion soulevé vient de la notion de foi avec cette idée des Elohim, des êtres mystérieux qui apparaissent de façon mystérieuses, et qui va cliver les gens. Il nous fait ainsi nous questionner sur le clivage présent entre croyance et mensonge. La grande force est surtout de ne jamais forcer la main au lecteur. Il n’y a jamais de parti pris, restant toujours ambigu dans les messages qu’il transmet, ou neutre, pour permettre à chaque lecteur de se faire son propre avis. L’autre point fort vient du côté humain, bien porté par des protagonistes intéressants, denses et complexes. Alors après je regretterai peut-être un léger manque d’émotion, mais rien de non plus très dérangeant ou bloquant. La plume de l’auteur est efficace, vivante et entraînante et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 8/10

 

Autres avis : Ours Inculte, Boudicca, XapurNicolas Winter, Maki, …

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  1. Cette collection m’intrigue, et j’aime bien les textes qui font réfléchir. C’est marrant de voir ton avis dessus alors que je l’ai choisis parmi ceux qui m’intéressent dans masse critique y a une heure et que j’en ai jamais entendu parler avant :p

    • J’espère en tout cas que cette novella te plaira. Bonne lecture et n’hésite pas à venir me dire ce que tu en as pensé.

  2. Nous sommes encore une fois du même avis 🙂

    • C’est louche quand même d’être autant du même avis ^^
      Sinon plus sérieusement content qu’il t’ait plu autant qu’à moi. Après c’est ce que j’apprécie beaucoup de cette collection du Bélial’ des textes courts, percutants et toujours très intéressants.

  3. Pour moi, l’un des plus beaux textes de la collection, poétique et intelligent.
    Et j’ai découvert la plume de Laurent Kloetzer à cette occasion et elle très agréable.

    • C’est un très bon texte, après j’avoue j’ai du mal à vraiment classer vu que chaque texte est différent, mais d’autres m’ont plus marqué pour ma part.

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