L’inclinaison – Christopher Priest

linclinaisonRésumé : Compositeur de musique renommé, Alesandro Sussken est né dans un pays en guerre, clos, dirigé par une impitoyable junte militaire. Parti au front, son frère Jacj n’est jamais revenu. Un jour, on propose à Alesandro une tournée de neuf semaines dans certaines îles de l’Archipel du Rêve, dont la volcanique Temmil, sur laquelle vit And Ante, un guitariste de rock qu’Alesandro considère comme un plagiaire éhonté.
Cette tournée, aux distorsions temporelles incompréhensibles, va changer la vie d’Alesandro d’une façon inattendue. Il va tout perdre : sa femme, ses parents, sa liberté. Pour comprendre sa descente aux enfers, il n’aura pas d’autre solution que de retourner dans cet Archipel du Rêve, aussi séduisant que dangereux…

Edition : Denoël Lunes d’Encre (parution le 13/10/2016)
Traducteur : Jacques Collin

 

Mon Avis : Je me suis lancé il y a plusieurs mois de cela maintenant dans la découverte des écrits de Christopher Priest et je dois dire que pour l’instant je n’ai pas été déçu. L’auteur a toujours réussi à me convaincre, que ce soit à travers une SF d’anticipation, comme à travers une SF plus métaphysique. Donc quand j’ai vu que l’auteur sortait un nouveau roman, je n’ai pas mis longtemps avant de me lancer dans sa lecture même si j’ai tout de même un peu hésité. En effet ce récit tourne autour de l’Archipel du Rêve, qu’il met en avant depuis quelques années et, même si les romans sont indépendants les uns des autres, j’hésitais à me lancer dans une lecture par ordre de publication. Mais finalement non, j’ai craqué sur ce dernier roman à la couverture, illustrée par Aurélien Police, que je trouve magnifique et qui colle bien au récit.

Par contre je me rends compte d’une chose, à chaque fois que je lis un roman de l’auteur, je sais qu’il me sera difficile de le chroniquer tant l’ensemble a réussi à me marquer par sa densité, ses réflexions, son rythme et son style unique, mais que le ressenti dépendra franchement de chaque lecteur. Ce roman va ainsi nous faire plonger dans la vie d’un compositeur de génie, Alessandro Sussken, habitant du Glaund un pays en guerre, cloîtré sur lui-même et où la censure règne. Principalement concernant les îles de l’archipel du Rêve, qui vont peu à peu fasciner notre héros. Il va alors avoir la chance de pouvoir faire une tournée dans plusieurs de ces îles, mais cela va radicalement changer sa vie. On plonge ainsi ici dans un roman étrange, envoutant, poétique, qui démarre de façon lente, posant ainsi personnages, univers, fil rouge avant de faire monter graduellement en tension l’intrigue au fil des pages que ce soit dans ses questionnements, ses réflexions ou encore ses idées. Attention ce roman n’est rien un livre nerveux, ce n’est pas ce que cherche l’auteur, on plonge plus dans une histoire qui s’avère hypnotique et entrainante principalement dans son étrangeté, le tout porter par un style soigné et une ambiance posée et efficace. C’est assurément la grande force, je trouve, des écrits de l’auteur cette construction magnétique et fascinante qui pousse le lecteur à tourner les pages, à se questionner, à remettre en cause ce que propose le narrateur.

On a ainsi l’impression de plonger dans ce qui parait être un récit onirique, une réalité étrange, où la temporalité des îles va créer des graduels, des pertes de temps, qui vont faire que notre héros va se retrouver perdu et va, d’une certaine façon, tout perdre. Rêve ou vérité, chaque lecteur se fera son propre avis, mais on plonge clairement dans un roman totalement ouvert, où l’absence d’explications sur certains points rend l’ensemble, je trouve, plus captivant, offrant à chaque lecteur la possibilité de s’approprier le récit, où chacun y construira ses propres explications. On ressort de cette lecture avec de nombreuses questions, mais sans que cela dérange, tant l’intrigue ne manque pas de marquer et de s’avérer intelligente dans sa forme comme sur le fond.

La technologie développée n’est pas non plus en reste dans son côté énigmatique, avec principalement cette idée de barre, présente du début à la fin, et que j’ai trouvé brillante. Les îles ont aussi leurs importances, que ce soit dans l’évolution du personnage, comme dans les mystères et elles en deviennent même un personnage à part entière du roman. Ici le thème principal vient clairement du temps, je ne sais pas si le terme voyage dans le temps est adéquat, mais c’est celui qui se rapproche le plus, le tout traité de façon originale. En effet la notion de temps qui est développé dans ce texte est complexe, les incréments et décréments que subit notre héros n’ont rien de figé ni de scientifique comme peuvent le démontrer d’autres récits. Il se révèle incompris et pourtant la grande force du récit c’est de le rendre cohérent et logique. Il donne ainsi plus l’impression d’être considéré comme des « fuseaux horaires » spécifiques et ciblés, comme des vagues. Les adeptes, viennent aussi y ajouter une touche d’inconnu et d’irrationnel, ce qui apporte un plus.De plus ici le « voyage temporel » n’a pas pour but de changer le monde, il est plus subi par le héros, le forçant à évoluer, à changer, offrant au passage quelques réflexions efficaces.

Ce n’est pas le genre de récit qu’il faut tenter de comprendre de bout en bout, mais plus se laisser porter par cette ambiance perturbante, fascinante et envoutante. D’ailleurs le côté musical que construit l’auteur du début à la fin joue pour beaucoup dans cette capacité à se laisser porter par l’histoire. Que ce soit à travers Alessandro, qui est compositeur, comme le récit en lui-même, il se dégage une musicalité de ce récit, définissant de façon différente chaque île que visite le personnage principal et qui tente de déployer sur l’ensemble une symphonie d’idées, de mouvements, de variation et d’originalité. Mais surtout l’auteur nous offre aussi de nombreuses idées et soulever de nombreuses questions. En effet il va ainsi nous faire réfléchir sur la notion du temps, la façon dont nous le gérons, sur l’illusion de la durée, l’absurdité de la guerre, la notion de perte, de bonheur ou encore aussi sur la véracité du témoignage qui, pourtant, paraît écrit par un personnage qui a les pieds sur terre. L’auteur parle aussi de façon métaphorique des inconvénients des voyages, que ce soit les douanes, les papiers, les hôtels, mais aussi de ses atouts la beautés des lieux visités, des points de vues découverts, du détachement qu’il procure si on se laisse aller. Mais voilà pour moi le point principal qui ressort clairement de ce roman, je me trompe peut-être, c’est l’inspiration. La quête d’Alessandro dans sa composition, les variations qu’il apporte en fonction de ses voyages, des îles qu’il visite, mais aussi l’étrangeté de celle-ci. Il est toujours difficile à des créateurs d’expliquer d’où vient leur « inventivité », j’ai eu l’impression que c’est ce que voulait retranscrire l’auteur au travers de ces pages.

Alors après, j’aurai peut-être juste deux points à soulever. Le premier vient que j’ai trouvé le premier quart du roman un peu froid et légèrement trop factuel. Ensuite, cette volonté de vouloir prévenir à l’avance le lecteur, à chaque fin des premiers chapitres, que le héros va tout perdre et qu’il ne le sait pas encore, m’a paru un peu redondante. Mais bon, au final rien de très dérangeant tant j’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman étrange et captivant, à la conclusion des plus efficace selon moi. La plume de l’auteur s’avère toujours aussi soignée, dense et intelligente, qui construit pour nous un récit onirique, aux multiples questions et réflexions. Je ne sais pas si j’ai réussi clairement à retranscrire mon ressenti envers ce roman, de plus je pense que le ressenti dépendra de chacun, mais si vous appréciez déjà l’auteur, je pense que vous ne serez pas déçu et si vous ne connaissez pas Christopher Priest, je ne peux que vous conseiller de lire un de ces livres pour vous faire un avis. Moi il faut maintenant que je sorte d’autres romans de l’auteur de ma PAL.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui va nous plonger dans un récit que j’ai trouvé hypnotique, entraînant, étrange et fascinant à découvrir au fil des pages. Il s’agit d’un récit envoutant, ouvert, où de nombreuses questions restent à l’appréciation du lecteur et où chacun se fera sa propre idée une fois la dernière page tournée. Le thème central du roman est le temps, ou plutôt le voyage dans le temps, mais l’auteur nous propose franchement quelque-chose d’original dans sa construction, tout en restant logique et cohérent. Ici l’aspect temporel ne sert pas vraiment à changer les choses, il va permettre plutôt de faire avancer et évoluer le héros. L’étrangeté de l’archipel des îles apporte un vrai plus au récit et devient même un personnage à part entière. Les technologies offrent aussi des idées intéressantes comme cette barre. Mais surtout ce roman nous propose quelques réflexions captivantes que ce soit sur la notion du temps, la façon donc on le gère, la guerre, les voyages, la perte, l’espoir, mais surtout, selon moi, l’inspiration. Une certaine musicalité aussi se dégage de ce livre, que ce soit dans son ambiance et son rythme, comme à travers le héros qui est compositeur et joue aussi sur mon immersion dans ce roman ; me laissant porter. Alors après je reprocherai peut-être juste un premier quart du roman légèrement froid, ainsi que, dans les premiers chapitres le besoin de trop vouloir prévenir le lecteur en disant que le héros va tout perdre. Mais rien de trop dérangeant tant j’ai été happé par ce récit, le tout porté par une plume poétique, dense, soignée et entraînante. Il faut que je sorte les autres romans de l’auteur de ma PAL.

 

Ma Note : 8/10

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  1. Il faut que je me remette à lire du Priest, déjà je n’ai pas lu « L’adjacent » parce que je voulais lire d’autres romans de lui avant pour bien cerner ses thèmes de prédilection (puisque j’avais le sentiment que « L’adjacent » était un peu la somme de tout ce qu’il avait déjà exploré aupravant), chose que je n’ai finalement pas encore faite…

    Et là, avec « L’inclinaison », j’ai le sentiment qu’avoir déjà lu « L’archipel du rêve » ou « Les insulaires » est un plus… Raaaah, Priest est passionnant mais demande de l’investissement ! 😀

    • Pour L’adjacent c’est vrai que ça m’a paru être un condensé de l’expérience de l’auteur, pour L’inclinaison je n’ai pas ressenti ça, même si je ne doute pas que lire les autres écrits doit aider. Il faut donc que je me dépêche moi aussi de mon côté de lire les autres romans de Priest.

    • Pour ma part j’ai lu l’adjacent en n’ayant lu auparavant que deux bouquins de Priest, et cela ne m’a pas gêné. Certes je pense qu’il y a un second niveau de lecture qui se révèle quand on connaît toute l’oeuvre de Priest, mais on peut s’en passer.

  2. Tu mets beaucoup en avant dans ton article la qualité d’écriture et l’atmosphère générale qui t’a plu. L’histoire en elle-même vaut-elle aussi le détour ? Je sais qu’avec Priest ce n’est pas toujours le cas. J’ai lu récemment une chronique sur l’un de ses romans qui se présente comme un guide touristique des îles de l’archipel du Rêve (je ne retrouve plus le nom de ce bouquin désolé), dans lequel il ne semblait pas y avoir du tout d’histoire. Qu’en est-il ici ? J’aime bien Priest, mais je veux qu’il y ait une intrigue.
    Autre question : Priest travaille beaucoup avec des romans découpés en nouvelles, ou en chapitres si déconnectés les uns des autres qu’ils ressemblent à des nouvelles (ex : l’adjacent), est-ce aussi le cas ici ?
    Merci d’avance !

    • J’ai trouvé l’histoire très intéressante mais comme souvent avec Priest pas tant par son intrigue que par l’étrangeté qui est amené face aux péripéties que rencontre le narrateur. L’histoire reste tout de même au second plan, elle n’en est ainsi pas le vecteur principal du récit selon moi. Concernant la construction du récit, justement ici on est dans uen narration linéaire avec un seul protagonistes qu’on suit au fil de l’histoire.

      Maintenant à toi de voir si ce roman te tente ou pas. N’hésite pas si tu as d’autres questions.

  3. J’ai retrouvé le « guide touristique » que j’évoquais : « Les insulaires ». Naufragés volontaires l’a chroniqué récemment : https://naufragesvolontaires.blogspot.fr/2016/10/les-insulaires-christopher-priest.html

  4. Je trouve aussi qu’il a beaucoup mis en avant le côté dramatique de l’histoire au début du récit, alors qu’au final je trouve que le récit ne correspond pas pour ce point.
    Pour une fois, j’ai tout compris sans effort 😉

    • Content qu’il t’ait tout de même plu. C’est vrai que sur les premiers chapitres il en fait un peu trop, mais heureusement ça s’oublie très vite.

  5. De mon côté, j’ai un peu moins apprécié ce roman car je n’ai pas eu le tourbillon d’émotions qui me traversait à la lecture de ses autres écrits. Je confirme que l’idée de la barre est fantastique et que j’aurais bien aimé pouvoir en observer une.

    • Le héros, c’est vrai, est un peu plus austère, mais je trouvais qu’il collait parfaitement à ce récit de guerre dans un monde froid et distant. Mainteant c’est vrai que ça change des autres récits de l’auteur.

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