Station : La Chute – Al Robertson

Résumé : Après sept ans de Guerre Logicielle entre les intelligences artificielles rebelles de la Totalité et l’humanité – dirigée par les dieux du Panthéon, des consortiums qui se manifestent très rarement à leurs adorateurs –, la Terre n’est plus qu’un gigantesque champ de ruines. La plupart des humains ayant échappé au conflit vivent à bord de Station, un immense complexe spatial.
Jack Forster a combattu les IA de la Totalité pour le compte du Panthéon, secondé par Hugo Fist, une marionnette virtuelle, un logiciel de combat ultra-sophistiqué installé en lui. Considéré comme un traître parce qu’il s’est rendu à la Totalité, Jack revient des confins du système solaire pour laver son honneur et trouver sur Station les réponses aux questions qui le taraudent depuis sept ans.
Mais le temps presse : le contrat de licence de Fist arrive bientôt à échéance ; au-delà, c’est la marionnette qui prendra le contrôle, effaçant irrémédiablement l’esprit de Jack, le condamnant au néant.

Edition : Denoël Lunes D’Encre (publié le 18-01-2018)
Traduction : Florence Dolisi

 

Mon Avis : Ce roman, j’en avais initialement entendu parler au moment de sa publication outre manche, mais jamais au point de me laisser tenter par la VO. J’ai toujours un peu peur de me retrouver bloqué par mon manque de vocabulaire en anglais dans certains romans SF. Surtout que, présenté comme un roman Cyberpunk, le langage utilisé peut, parfois, se révéler spécifique. Par conséquent, quand j’ai vu qu’une traduction était au programme et qu’on m’a proposé de découvrir ce livre, je n’ai pas hésité longtemps avant de me laisser tenter. À noter aussi la couverture, illustrée par Manchu, que je trouve franchement superbe.

Ce roman nous plonge dans un futur lointain qui a vu la Terre mourir, dévastée par la guerre entre l’humanité et la Totalité, et où les survivants vivent sur Station. Jack Forster revient ainsi sur Station après 5 ans d’emprisonnement pour désertion, dans le but de retrouver un amour perdu. Sauf que rien ne va se passer comme prévu et les évènements vont l’amener à devoir se mêler d’histoire qu’il aurait peut-être mieux fait d’oublier. Surtout qu’il ne lui reste plus longtemps à vivre, dans trois mois, à l’expiration de la licence, l’IA de combat qui partage son corps avec lui en prendra possession, comme le prévoit le contrat. Je dois bien admettre qu’une fois terminé, ce roman m’a fait passé un très bon moment de lecture. Alors certains points, principalement dans la gestion de l’intrigue et la construcion, m’ont paru par moment mal gérés, mais voilà dans l’ensemble Al Robertson nous offre ici un premier roman intéressant, plutôt intelligent et surtout très efficace. En effet le premier point fort du récit, vient pour moi de son rythme qui s’avère clairement entraînant, percutant et offrant de nombreux rebondissements et de nombreuses surprises. Dès les premières pages on est happé par ce que nous fait découvrir le héros ainsi que par les nombreux jeux de pouvoir et manipulations qui se trament sur cette station. Ce qui rend l’ensemble aussi plus prenant, selon moi, c’est le jeu qu’instaure l’auteur avec le lecteur. Il ne nous fournit pas toutes les informations en bloc, dévoilant au fur et à mesure de la lecture les clés du récit et de l’univers, nous obligeant à chercher les pièces manquantes du puzzle pour mieux nous surprendre. Le récit proposé est ainsi un mélange de Cyberpunk et de roman noir qui fonctionne franchement bien, offrant ainsi une enquête qui ne manque pas de punch et d’intérêt, donnant ainsi l’envie d’en apprendre plus.

L’autre point fort du récit vient de l’univers que construit Al Robertson tout du long. Le mélange SF, informatique, nouvelles technologies le tout associé à l’imagination débordante de l’auteur offre de nombreuses idées intéressantes, visuellement réussies, entraînantes et efficaces. Que ce soit dans les différenciations sur la notion de réalité, que ce soit celle physique, celle augmentée avec la notion de Trame voir même carrément les entrées dans le virtuel, l’auteur s’amuse, offrant quelque-chose de solide, d’efficace, de captivant et qui soulève de nombreuses questions. Car, bien entendu, tout cela à des conséquences, il faut toujours améliorer son avatar, ses conditions de vie dans le virtuel et tout cela crée obligatoirement une dépendance et a un coût, le tout sans non plus tomber dans l’absurde. Mais voilà, ce n’est pas la seule bonne idée du roman, j’ai aussi par exemple trouvé intéressante la façon dont l’auteur développe la mort dans son monde, ainsi que la notion de fantômes que je vous laisse découvrir pour ne pas trop spoiler. L’aspect politique ne manque pas non plus d’attrait, que ce soit dans cette idée de Panthéon de dieu qui dirigent Station, qui sont finalement des IA, et pour qui les humains sont prêts à tout pour entrer dans leurs bonnes grâces. Le mélange ainsi crée entre religion et corporation ne manque pas de faire réfléchir. Mais voilà on découvre aussi que la vie sur station est loin d’être le paradis, que de nombreuses zones d’ombres sont aussi présentes. L’aspect technologique est efficace et prenant, surtout que l’auteur l’amène de façon sobre et plutôt épuré, évitant ainsi de rendre l’ensemble peut-être un peu compliqué pour certains. Maintenant cette simplicité a aussi des conséquences, mais j’y reviendrai plus tard.

Le roman ne laisse pas non plus indifférent, offrant de nombreuses réflexions qui viennent questionner et faire réfléchir le lecteur. On ne peut s’empêcher de calquer le monde crée par Robertson sur le nôtre, même si sur Station il est poussé à l’extrême. Que ce soit sur les religions, le culte que l’ont peut vouer aux médias, la façon dont nous traitons nos morts et dont nous respectons leurs mémoires, ou bien encore la notion de libre arbitre, de choix, mais aussi sur la position de chacun. Alors c’est vrai, j’ai trouvé que parfois certaines réflexions manquaient de complexité, se révélant par moment même binaires, principalement dans certains choix moraux du héros, qui paraissent à géométrie variable en fonction de la personne qui le place face à ce choix, mais dans l’ensemble les différents points soulevés ne m’ont pas laissé pas indifférent. En ce qui concerne les personnages, tout tourne principalement autour de nos deux compères : Jack et Hugo. Concernant Jack, je l’ai trouvé intéressant à suivre et à découvrir, offrant un personnage désabusé, trahi, qui sait que sa vie touche à sa fin, mais qui va pourtant peu à peu être obligé de se réveiller face à ses choix et aux conséquences qu’ils ont. Concernant Hugo, même si je l’ai trouvé plutôt réussi, j’ai eu quand même par moment un peu de mal à accrocher. Je comprends bien qu’en tant qu’IA de combat il possède ce côté violent et agressif, mais la touche de vulgarité qui le caractérise est mal utilisé je trouve, ne rendant pas obligatoirement le personnage drôle, mais plutôt lourd par moment. Je trouve aussi dommage que les héros aient un peu de mal à évoluer sur certains points. La notion du plan infaillible qui foire à chaque fois, c’est un peu comme le héros a qui ont dit de ne pas le faire, car c’est dangereux, mais qui le fait quand même. Certes cela offre du rebondissement, mais c’est un chouïa répétitif et donne l’impression qu’ils n’apprennent pas. Cela n’empêche pas pour autant leur relation de s’avérer complexe et plutôt efficace. Concernant les personnages secondaires, il est vrai que certains m’ont paru manquer de profondeur, je pense par exemple à Lestak, mais dans l’ensemble ils fonctionnement plutôt bien, avec une petite mention spéciale pour les dieux.

Mais voilà autant, comme je l’ai dit, ce récit offre des concepts et des idées intéressantes et fascinantes et un travail « visuel » captivant, autant par moment la construction de l’intrigue m’a paru un peu faiblarde. Par conséquent même si le roman est bon, il lui manque ce petit truc pour être encore meilleur. Outre, comme je l’ai dit, la notion de rebondissements qui repose parfois sur un schéma répétitif, il y a une notion de simplicité dont j’ai déjà parlé et qui en fait trop. Le hackage des programmes, ici, repose sur l’idée simple et très visuelle de la marionnette d’Hugo, une IA, qui plonge ses mains dans une machine, un programme ou autre, et hack. Cela offre un aspect, il est vrai, très efficace et marquant, à l’opposé du mec devant un écran qui tape des lignes de codes. Sauf quand dans un chapitre on tombe dans le hackage, contre-hakcage, contre-contre-hackage etc.. cela en devient vite trop rapide improbable je trouvais. J’ai aussi noté des Deus Ex Machina qui m’ont paru trop faciles, sortant trop souvent, avec de grosses ficelles, nos héros de situations très compliquées. Enfin certaines révélations sur la fin m’ont paru un peu téléphonées. Au final cela n’enlève rien aux qualités présentes dans ce roman, mais me font dire que le roman aurait encore pu être meilleur. La plume de l’auteur est simple et entraînante et, si jamais la suite devait être publiée en VF (suite qui, si j’ai bien compris, peut être lu de façon indépendante), je la lirai sans soucis.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui, même s’il possède quelques faiblesses dans sa construction, propose d’excellentes idées et des concepts très intéressants. L’auteur vient ainsi mélanger efficacement cyberpunk et roman noir, jouant avec le lecteur, dévoilant les clés au fur et à mesure de la lecture pour mieux le surprendre. L’univers se révèle captivant visuellement et offre de nombreuses idées que ce soit sur la notion de mort, le virtuel, les IA ou encore la réalité augmentée. L’aspect politique et social ne manque pas non plus d’attrait, s’avérant intrigant et soulevant de nombreuses questions. Les réflexions développées ne laissent pas indifférent tant on pourrait limite calquer cet univers sur le nôtre, même si ici il est poussé à l’extrême. Que ce soit sur la notion de religion, des médias, du libre-arbitre, de la notion de choix et d’autres sujets encore, l’auteur brasse pas mal d’idées, même si parfois de façon, c’est vrai, un peu simpliste et binaire. Concernant les personnages, j’ai trouvé Jack intéressant dans son évolution, sa vision du monde. Pour Hugo il ne manque pas non plus de révéler intrigant, mais voilà j’ai trouvé que parfois sa personnalité très « rentre dedans » avec cette touche de vulgarité en faisait trop. Ce qui aurait dû le rendre antipathique pour le faire évoluer, devient finalement un peu lourd. Concernant les personnages secondaires, même si certains m’ont paru légèrement manquer de profondeur, ils sont dans l’ensemble prenants. Je regretterai par contre dans la construction du récit une certaine répétition dans la construction des péripéties, ainsi que quelques Deus Ex Machina faciles, mais aussi une simplicité qui parfois tend vers le légèrement improbable et enfin certaines révélations facilement devinables. Cela n’enlève rien aux qualités du récit, je pense juste qu’il aurait pu être encore meilleur. La plume de l’auteur est simple, efficace, entraînante et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 7,5/10

 

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  1. Je suis moins conquise, et j’ai même eu beaucoup de mal avec le premier tiers du livre. Il y a effectivement de bonnes idées (IA/dieux, une forme d’immortalité à travers ces fantômes numériques…) , mais beaucoup de points m’ont laissé pantoise et les réactions de Fist (Hugo ?) m’ont épuisé. Comme toi, j’y ai vu une volonté d’humour.
    Bref, ce livre m’a pesé et je suis contente de l’avoir terminé pour vite l’oublier. Arf, non, j’ai l’article à écrire ! pfff…
    Bises

    • Ah mince désolé qu’il ne t’ait pas plus à ce point là. C’est vrai que Hugo peut très vite devenir « lourd » même si certaines réactions sont compréhensibles, le côté parfois vulgaire lui n’apporte rien selon moi.

  2. Au contraire, j’ai vraiment apprécié ma lecture et cette univers.
    Seul bémol, peut-être une fin un peu rapide après un récit qui prend son temps.

    • Ca reste une lecture recommandable, mis à part quelques petits bémols j’ai passé aussi un très bon moment avec ce roman. Content en tout cas qu’il t’ait plu aussi.

  3. Je suis un tout petit peu plus emballée que toi. J’ai trouvé justement le caractère irritant de la marionnette cohérent et immature à souhait. C’est vrai qu’il est assez antipathique au tout début, un sentiment renforcé par le sort réservé à Jack. Mais finalement la dynamique entre les deux et l’évolution ont été chouettes

    • Après mon soucis avec Hugo ce n’est pas tant son immaturité que sa vulgarité parfois gratuite et sans que cela pporte grand-chose au récit ainsi que sa capacité à ne pas évoluer, ne jamais apprendre de ses erreurs. Maintenant je te rejoins la dynamique entre les deux héros est très sympa.

  4. Terminé il y a peu, il y a un point que j’ai beaucoup aimé dans ce livre et que tu abordes dans ta critique : tout ce qui concerne la mort et les revenants. Je pense notamment aux parents de Jack, ou à Lestak. La thématique du souvenir y est traité avec beaucoup d’intelligence !
    Après je te rejoins sur les quelques soucis de rythmes et de cohérences, le roman connaît un sérieux coup de mou à sa moitié, et certaines ficelles sont un peu grosse. Mais pour un premier roman, c’est une joli réussite 🙂

    • Merci pour le commentaire, ça fait toujours plaisir.
      Concernant les thématiques et principalement celle de la Mort et du souvenir, oui elle est très intéressante dans la vision que donne l’auteur et c’est vrai que pour un premier roman c’est un bon livre et solide. Content qu’il t’ait plu en tout cas.

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