Chroniques du Pays des Mères – Elisabeth Vonarburg

Résumé : Au Pays des Mères, quelque part sur une Terre dévastée du futur en train de se remettre lentement, les hommes sont très rares. Seules les Captes des Familles – les Mères – font leur enfantes avec les Mâles. Les autres femmes doivent utiliser une forme hasardeuse d’insémination artificielle.
Lisbeï et Tula ne s’en soucient pas trop : filles de la Mère de Béthély, elles grandissent ensemble, sœurs et amies. Mais Lisbeï se révèle stérile ; ne pouvant être la Mère comme elle en avait rêvé, elle doit quitter Béthély, et Tula.
Devenue « exploratrice », elle accomplira un autre de ses rêves : découvrir les secrets du lointain passé du Pays des Mères. Mais certains rêves sont difficiles à vivre…

Edition : Alire

 

Mon Avis : Chroniques du Pays des Mères est un roman dont j’entends parler en très bien depuis un long moment déjà. Il m’a toujours été présenté comme un roman riche, complexe, intelligent et qui a marqué de nombreux lecteurs. Cela fait ainsi des années que je souhaite le découvrir, mais comme souvent quand on me recommande plus que chaudement un livre, limite chef d’œuvre pour de nombreux lecteurs, j’ai toujours un peu peur de passer à côté tant les attentes que j’ai alors sont assez élevées. Après de nombreux mois à trainer dans ma PAL, j’ai pourtant enfin décidé de lui laisser une chance et de le découvrir pour me faire mon propre avis. Concernant la couverture, illustrée par Sumo, elle a du mal à m’accrocher, me paraissant un peu vieillotte.

Ce livre porte, d’une certaine façon, bien son nom, puisqu’il nous plonge dans les chroniques et la vie de Lisbeï. On est donc clairement dans ce qu’on pourrait considérer comme un roman initiatique où notre héroïne va grandir, évoluer et apprendre dans un futur lointain qui a connu de nombreux bouleversements dans le passé. En effet le Pays des Mères est un monde où les hommes sont rares, suite à une maladie ce qui fait que peu de bébés garçons survivent ; où les femmes se sont libérées de la domination des hommes à l’époque ; où les guerres ont laissé des zones ravagées interdites. Aujourd’hui le Pays des Mères connait une période de paix calme, mais doit faire face à des changements compliqués et surtout aux problématiques de perpétuation de l’espèce humaine. C’est donc dans ce monde que va devoir trouver sa place Lisbeï, qui pensait l’avoir trouvée auprès de Tula, mais qui va se rendre compte que la vie est beaucoup plus compliquée. Au final une fois la dernière page tournée je dois bien admettre que je reconnais les qualités de ce livre, principalement dans la vision qu’il nous offre et dans les réflexions qu’il propose. Alors pour ma part ce n’est pas obligatoirement un coup de cœur, la faute a deux ou trois points que je soulèverai ultérieurement, mais cela n’empêche pas Chroniques du Pays des Mères de m’avoir offert un très bon moment de lecture et de m’avoir touché.

On plonge ici dans un récit qui va se révéler plutôt lent dans la construction, mais que j’ai trouvé pour autant très prenant, grâce à une plume riche, soignée, dense et d’une certaine façon envoutante et poétique. La narration, qui mélange des passages de narrations classiques avec des éléments de lettres ou de courriers, permet d’une certaine façon d’avoir différents points de vues et permet d’amener de façon efficace, je trouve, des informations, des révélations. Cette narration est aussi importante dans la construction des personnages, mais j’y reviendrai. Cela permet aussi d’avoir un récit légèrement déconstruit temporellement dans l’intrigue, mais qui pourtant se tient très bien. J’ai ainsi été rapidement happé par la vie de cette héroïne, la vision qu’elle propose de son monde ainsi que sa façon d’évoluer et les choix qu’elle va devoir faire. Alors clairement si vous êtes plus lecteurs de récits qui s’avèrent rapides et sans temps morts, il vaut mieux passer votre chemin je pense. Pour autant le roman ne manque pas de tension, que ce soit dans les difficultés de l’héroïne comme dans les problématiques politiques de l’époque. On est clairement dans un récit à taille humaine, qui ne cherche pas obligatoirement à en mettre plein la vue, mais plus à nous captiver intimement, à nous questionner, nous faire réfléchir et cela fonctionne très bien, tout du moins de mon côté.

L’univers développé ici ne manque pas d’attrait, nous offrant ainsi une toile de fond Post-Apocalyptique qui ne manque pas de se révéler optimiste dans les grandes lignes. Attention je ne parle pas d’Utopie, loin de là, il reste encore de nombreuses tensions à gérer, de nombreuses catastrophes à traiter, mais pour autant ce monde tente de se relever, d’avancer dans le bon sens en mettant tout le monde dans la boucle. Certes pour arriver à cela il a fallu des guerres, du sang et des révolutions ; un changement radical. Le Pays des Mères est aussi très intéressant dans son aspect social et politique, la façon dont le pouvoir est géré et aussi dans les nombreuses problématiques qu’il peut y avoir. Bien entendu le gros intérêt est d’imaginer un monde dirigé par des femmes, et la façon dont le présente Elisabeth Vonarburg est captivante car elle offre au final une vision complexe, loin du côté binaire que l’on pourrait voir apparaitre. Ainsi ce pays connait aussi ses tensions politiques, ses extrémistes, ses religieux et propose une gestion des changements intéressante. L’aspect social est aussi intéressant, car finalement on découvre un monde qui a aussi ses chaînes, où les hommes sont surprotégés pour permettre des naissances, mais sont aussi d’une certaine façon rejetés pour les fautes de leurs ancêtres, un monde où la vie des femmes est finalement gérée en fonction de leurs capacités de reproductions, où elles deviennent finalement « libres » qu’une fois stériles. Au final un univers riche qui se diversifie au fil des pages, attrayant et qui donne envie d’en apprendre plus tant il paraît il y avoir encore à découvrir. Je regretterai juste l’aspect religion qui est dans les grandes lignes une redite du Christianisme avec des femmes, certes cela soulève des sujets de discussion, mais m’a quand même un peu frustré.

L’autre gros point fort du roman vient clairement des réflexions que développe l’autrice, bien entendu en premier lieu sur notre société à travers le miroir que nous offre ce futur. Ainsi que ce soit sur la vision des femmes, la position qu’elles ont dans notre société, la façon dont elles sont traitées et en parallèle la différence développé dans l’avenir de ce récit il y a obligatoirement matière à réflexions. Mais en plus de nous questionner sur le statut des femmes et des hommes, surtout dans ce monde où, même s’ils paraissent plus « libres », plus égalitaires, ils sont quand même enfermés à leur statut de reproducteurs, les femmes devant offrir le maximum de grossesses, les hommes n’étant que des outils. Il y a aussi un vrai travail fascinant et complexe sur les relations humaines. Ainsi le roman nous fait réfléchir sur la notion de communication, d’amitié, d’amour, comment on peut ne pas se comprendre les uns et les autres, ne pas communiquer entre nous à cause de la peur ou autre. On retrouve également des réflexions intéressantes sur la notion d’Histoire, de mythes et de religions, de la façon dont avec le temps on réécrit l’Histoire pour de nombreuses raisons, aussi bien politiques que personnelles ainsi que de l’importance dans ce monde des Exploratrices et des découvertes qu’elles font. Alors, je ne vais pas faire le tour des nombreuses thématiques que soulèvent ce livre, sachez qu’il le fait, je trouve, intelligemment, efficacement et qu’une fois la dernière page tournée il continue à me trotter dans la tête, à me questionner.

Les personnages sont aussi fascinants à découvrir avec en premier lieu, bien entendu, l’héroïne du livre Lisbeï. Elle devient très rapidement attachante et touchante dans la vision qu’elle a du monde, dans les choix qu’elle fait, les « murs » qu’elle rencontre et la façon dont elle va évoluer. On a vraiment ici une héroïne complexe, marquante, à travers laquelle je me suis même en partie retrouvée, comme par exemple dans son lien avec l’Histoire ou bien encore dans son envie de souvent argumenter contre les autres, même si elle est d’accord avec leurs idées, simplement pour pousser le raisonnement à fond. Gravite autour d’elle de nombreux personnages qui vont à leurs contacts la changer, lui faire découvrir des points de vues différents, des visions du monde différentes. Certaines sortent vraiment du lot comme par exemple Tula dans la relation limite fusionnelle qu’elles entretiennent au point de parfois ne plus se comprendre, Kélys qui va jouer le rôle en partie de guide, Selva qui a été marquée par sa vie au point de vouloir changer les choses, mais n’arrivent pas à s’approcher de ses filles. La construction du récit fait permet aussi, je trouve, d’éviter de laisser de côté certains personnages secondaires. Il y a encore de nombreux personnages secondaires qui ne manquent pas d’intérêt, se révélant soignés et complexes. Tous s’avèrent ainsi humains et intéressants à découvrir. Alors après, c’est vrai, vu le nombre de personnages certains paraissent manquer d’intérêts, de profondeurs, mais rien qui ne vient gêner la découverte.

Pour autant, quelques points m’ont quand même dérangé, car outre l’aspect religion qui m’a légèrement frustré, j’ai aussi trouvé une ou deux facilités un peu frustrantes comme celle par exemple, sans trop spoiler, de Lisbeï en tant qu’exploratrice. J’ai aussi trouvé par moments certains passages assez naïfs, que ce soit dans la façon dont Lisbeï qui a du mal à apprendre de ses erreurs, mais aussi à un point particulier qui va faire basculer la vie de Lisbeï, mais je ne peux rien dire sous peine de trop en dévoiler. Ensuite j’ai aussi trouvé que dans le dernier tiers du roman quelques longueurs se faisaient ressentir et une certaine répétition dans les arguments. Enfin un dernier point, c’est le mystère qui est soulevé tout du long et qui se révèle à la fin qui m’a paru téléphoné et que j’avais vu venir très rapidement. Maintenant concernant ce dernier point le but du roman n’étant pas obligatoirement d’offrir une conclusion surprenante, il ne dérange en rien la lecture. Finalement, malgré les quelques points que j’ai soulevé, l’ensemble reste très bon et mérite, je trouve, d’être découvert. Je suis bien content d’avoir sorti ce roman de ma PAL et de l’avoir lu.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce livre qui nous fait découvrir le destin Lisbeï dans un monde futuriste Post-Apocalyptique. On plonge dans un récit plutôt lent, humain, initiatique qui nous fait suivre la vie et l’évolution de l’héroïne. La construction est rapidement captivante que ce soit dans son travail complexe, mais aussi à travers une plume sensible, soignée, riche et envoutante. Je me suis rapidement retrouvé captivé par la vie de Lisbeï et les changements qu’elle va connaitre. L’univers ne manque pas non plus de se révéler travaillé et fascinant à découvrir que ce soit dans sa vision politique, sociale, mais aussi humaine, offrant quelque-chose qui ne laisse pas indifférent. Je regretterai par contre un côté religion un peu convenu. Le gros point fort du récit vient clairement des réflexions qu’il propose. Ainsi que ce soit sur la position de la femme, les relations humaines, la construction politique, l’Histoire, la notion de vérité et bien d’autres encore, on brasse de nombreuses thématiques de façon intelligente et terriblement efficace. C’est le genre de roman qui, je trouve, ne laisse pas indifférent et fait réfléchir le tout porté par des protagonistes soignées, complexes, attachantes et humaines. Je regretterai tout de même une ou deux grosses facilités ainsi qu’un aspect naïf de certains qui m’a paru un peu simpliste. J’ai aussi senti quelques longueurs dans le dernier tiers du livre. Enfin j’ai trouvé que l’élément final de surprises était un peu trop facilement devinable, même si là, vu que ce n’est nullement le point central du récit, ce n’est pas trop gênant. Au final j’ai passé un très bon moment avec ce livre et je lirai sans soucis d’autres écrit d’Elisabeth Vonarburg .

 

Ma Note : 8/10

 

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  1. Je suis toujours ravie de voir d’autres lecteurs se lancer dans des romans d’Elisabeth Vonarburg 😀 Je l’ai découverte avec « Le Silence de la Cité » et « Chronique du pays des mères » fait partie de mes lectures prévues pour 2019 ! Du coup, je suis d’autant plus contente de voir qu’il t’a plu. Et je te conseille « Le Silence de la Cité » au passage, qui se passe dans le même univers mais pas à la même époque.

    • Depuis le temps qu’on m’en parle il fallait bien que je me lance dans la lecture d’un de ses livres un jour. Je suis bien content de l’avoir fait en tout cas.
      Je note pour le livre que tu me conseille.

  2. C’est une bonne chose que tu aies laissé « reposer » ce livre avant de l’entamer. Parfois quand les avis sont dithyrambiques, les attentes sont trop lourdes pour apprécier sa lecture. J’ai aimé cette radicalité dans la question de l’identité et dans la société avec une culture toute autre justement.

    • C’est ça, limite sortir le livre de ma PAL me fait peur, j’ai tellement entendu de bons échos que je n’ai pas envie de passer à côté.
      Je te rejoins le travail de fond aussi bien social, culturel et politique, est très intéressant et fait réfléchir.

  3. Un très beau livre, mais je comprends que tout le monde n’ait pas une relation aussi fusionnelle que moi avec ^^. Contente qu’il t’ai plu en tout cas. Si jamais si tu veux lire d’autres écrits d’Elisabeth Vonarburg, dis toi que c’est le moins bizarre de tous je crois bien xD

    • J’ai du mal à être totalement fusionnel avec un livre je crois, je suis par moment trop pragmatique ou autre. Maintenant cela reste un très bon livre, qui mérite d’être découvert.
      Je vais voir cela quand je lirai d’autres écrits de l’autrice alors ^^

  4. Intelligent et efficace, ces deux mots me suffisent ^^
    Je vais le caser d’ici mi-mars

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