Kirinyaga suivi de Kilimandjaro – Mike Resnick

kirinyagaRésumé : Kirinyaga est le nom que portait le mont Kenya à l’époque où y siégaient encore Ngai, le dieu des Kikuyus. C’est aussi, en ce début du XXIIe siècle, l’une des colonies utopiques qui se sont créees sur des planétoïdes terraformés dépendant de l’Administration.
Pour Koriba, son fondateur – un intellectuel d’origine kikuyu qui ne se reconnaît plus dans un Kenya profondément occidentalisé –, il s’agit d’y faire revivre les traditions ancestrales de son peuple, en refusant coûte que coûte ce qui pourrait menacer la permanence de cette utopie africaine. Mais que pourra-t-il bien faire quand une petite fille surdouée voudra apprendre à lire et à écrire alors que la tradition l’interdit? Ou lorsque la tribu découvrira la médecine occidentale et cessera de croire en son dieu, et donc en son sorcier?

Edition : Denoël Lunes d’Encre

 

Mon Avis : Kirinyaga fait partie des livres considérés comme des lectures importantes de la Science-Fiction et à découvrir. Construit sur près de 10 ans, l’histoire est ainsi assemblée sur près de 10 nouvelles pouvant être lues de façon indépendantes, mais qui dans l’ordre forment un roman. Je ne m’étais encore jamais plongé dans cette histoire, mais quand j’ai vu que les éditions Denoël la rééditait, agrémenté d’un autre récit dans le même univers, j’ai décidé rapidement de le lire. Concernant la couverture, illustrée par François Baranger, je la trouve vraiment magnifique. A noter que les textes qui composent ce récit sont présentés comme la série de nouvelles la plus récompensée de l’histoire de la science-fiction, ce qui est à double tranchant, car cela pose certaines attentes. Contrairement à d’habitude je ne vais pas traiter de chaque texte, mais de l’ensemble vu qu’il forme un tout.

Nous nous retrouvons ainsi plongé en plein futur, dans une Afrique qui a rejeté les Européens, mais qui est devenue complètement occidentalisé dans sa façon d’évoluer, rejetant leurs traditions pour le progrès. De nombreux animaux ont disparus, tel que les rhinocéros, les éléphants, etc… C’est dans ce monde que de nombreux kenyans décident de bâtir une Utopie Kikuyu, retrouver leurs racines, sur une planète terraformé selon leurs besoins. On suit ainsi Koriba, intellectuel qui devient mundumugu, le grand sorcier et surtout le sage de ce monde. Une fois la dernière page tournée, je dois bien avouer que j’ai été assez fasciné par ce roman, à travers dix histoires différentes l’auteur nous propose de découvrir un récit qui se révèle intelligent, et offre de nombreuses réflexions qui ne laissent pas indifférents. Mais surtout la grande force, pour moi des textes, vient du fait que l’auteur ne prend jamais parti, certes son narrateur possède ses convictions, mais chaque récit offre plusieurs facettes, plusieurs points de vue permettant au lecteur de se faire son propre avis sur chaque question soulevée et de construire ainsi sa propre conclusion.

Et pourtant il faut dire qu’on plonge tout de suite dans une ambiance, un peu dérangeante, car dès le second texte (qui est le premier sur Kirinyaga la planète) on se trouve percuté par ce retour aux traditions, par ce questionnement entre coutumes ancestrales et modernité face à cette nouvelle qui nous explique que dans le folklore Kikuyu, quand un enfant né par le siège il doit être sacrifié car il possède en lui un démon, ou que les anciens et les infirmes sont sacrifiés aux hyènes. Et c’est l’une des pierres angulaires des récits, cette différence entre tradition et modernité, qui fait qu’on se retrouve à se poser de nombreuses questions, chacun possédant des intérêts, mais aussi ses failles voir ses horreurs. L’auteur n’en reste pas là, sinon les récits tourneraient vite en rond, il offre aussi des réflexions soignées que ce soit sur l’identité culturelle, l’accès à la connaissance et son influence sur l’évolution, la position de la femme, l’acceptation des autres et la jalousie, la quête de la perfection et du bonheur, sur la notion ambigu de vérité, ou encore sur les coutumes considérés comme barbares, comme la circoncision ou encore l’excision qui socialement pour les kikuyu signifie le passage à l’âge adulte, mais qui pour le lecteur paraissent choquantes. Un roman qui ne laisse pas indifférent, où chacun se fera ses propres observations et ses propres conclusions grâce à un travail de fond psychologique et sociologique efficace. Il n’y a ici ni bien, ni mal, juste des choix de vie et la façon dont chacun voit son avenir.

Ce roman offre surtout la possibilité de réfléchir au terme Utopie et à quoi cela correspond, car au fil des textes on se rend très vite compte que la perfection recherchée par Koriba n’est pas obligatoirement celle voulu par tout le monde sur la planète. Certes, chacun peut repartir sur terre à tout moment, mais comment quitter un monde qui est finalement le leur et à qui ils ont tout donné. Finalement une utopie est-elle possible pour un peuple entier? Doit-elle passer par l’absence de réflexion de chacun et la centralisation du savoir en une seule personne ? On ne tombe pas ainsi dans l’utopie d’un seul homme ? Chaque texte va ainsi amener sa problématique, qui vont ainsi s’ajouter et changer complètement la vision de ce monde. Le tout reposant aussi sur les paraboles misent en avant par les petites histoires que raconte le mundumugu qui, je trouve, apporte un aspect plus imagé et conte à l’ensemble, même si on est loin des contes qui terminent bien. Après l’aspect à double tranchant du récit vient de Koriba, le narrateur, qui croit profondément en son utopie, qui en est limite fanatique, défendant becs et ongles ses toutes ses traditions, même les plus horribles, même si cela doit passer par l’abrutissement du peuple, car il sait que si on touche à l’une d’entre elle les autre vont s’effondrer. Cela le rend donc parfois antipathique dans son argumentation et dans sa vision de ce monde. Surtout qu’il est ambigu, il veut revenir aux traditions, mais gère la météo de la planète par ordinateur, faisant de lui, d’une certaine, façon, une figure divine. Il en devient limite le Dieu sur la Montagne, l’être suprême remis en cause. Mais voilà, certes je ne l’ai pas apprécié sur certains points, je l’ai rejeté sur d’autres, mais clairement le but du récit n’est pas de nous faire aimer son héros, mais de nous montrer une vison de son monde et de tous ses aspects.

Pour le moment ma chronique se consacrait à Kirinyaga, je vais maintenant m’attarder sur Kilimandjaro, dont mon avis sera plus court, pas qu’il soit mauvais, juste que l’ensemble m’a paru un ton en dessous et moins percutant. Le récit est construit de la même façon, plusieurs textes qui peuvent être lus indépendamment mais, qui, ensemble, forment un tout. Il nous propose de suivre une nouvelle utopie, cette fois Massaï, qui pour éviter de faire les mêmes erreurs que celle des Kikuyus a décidé de ne pas figer ses traditions, mais d’offrir un monde où tout le monde s’exprime et où chacun est accepté, traditionaliste ou moderne. Le narrateur est cette fois un historien, on évite ainsi le fanatique pour une vision plus neutre, plus aseptisé, même s’il va régulièrement se retrouver au milieu de choix cruciaux. Clairement les réflexions sont là, cette fois sur des aspects plus modernes et plus sociaux, les récit se révèlent efficaces ne laissant pas le lecteur indifférent, mais voilà chacun des textes, pour moi, est trop court et à la résolution trop rapide, simple et parfois facile. C’est un roman sympathique à découvrir, qui nous offre une autre vision que son prédécesseur dans le livre, mais voilà, à côté de Kirinyaga la différence de niveau entre les deux récits se ressent obligatoirement et, surtout, Kilimandjaro perd cette notion de conte et de parabole qui m’avait accroché, ce qui est dommage. Concernant la plume de l’auteur elle se révèle soignée, d’une grande perspicacité, arrivant rapidement à happer le lecteur et à le plonger dans un récit intelligent et efficace. Pour moi voilà un roman à découvrir.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce livre qui regroupe deux histoires, deux tentatives de construction d’une Utopie. Chaque récit est ainsi composé de plusieurs nouvelles qui peuvent être lus indépendamment, mais qui ensemble forment un tout. La grande force du livre vient des nombreuses réflexions qu’il soulève face aux différents aléas que vont rencontrer les différentes utopies que ce soit d’un point de vue culturelle, identitaire, etc… mais qui surtout soulève le point même de l’utopie et de ses nombreuses failles, le tout en restant assez neutre dans sa façon de présenter les choses pour permettre à chacun de se faire son avis. Des textes intelligents et soignés. Alors après, c’est vrai, il est difficile de s’attacher au personnage principal de Kirinyaga, plongeant dans le fanatisme malgré une certaine ambiguité, mais ce n’est pas le but du récit de nous faire aimer son héros, simplement de nous montrer l’évolution de son monde. Concernant Kilimandjaro j’ai un peu moins accroché, l’ensemble n’est pas mauvais, loin de là, mais parait franchement un ton en-dessous face à Kirinyaga, ce qui est légèrement dommage. Au final un roman qui mérite d’être découvert, au moins pour se faire un avis sur les différentes réflexions qu’il propose.

 

Ma Note : 8/10

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  1. Je ne connaissais pas du tout et j’ai bien envie de le lire maintenant !

  2. Un de mes livres cultes.
    Je l’avais en poche, je l’ai racheté en intégrale.
    À lire absolument. 🙂

  3. J’ai bien aimé ce recueil 🙂 !

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