L’Homme qui Savait la Langue des Serpents – Andrus Kivirähk

l'homme qui savait la langue des serpentsRésumé : Voici l’histoire du dernier des hommes qui parlait la langue des serpents, de sa sœur qui tomba amoureuse d’un ours, de sa mère qui rôtissait compulsivement des élans, de son grand-père qui guerroyait sans jambes, d’une paysanne qui rêvait d’un loup-garou, d’un vieil homme qui chassait les vents, d’une salamandre qui volait dans les airs, d’australopithèques qui élevaient des poux géants, d’un poisson titanesque las de ce monde et de chevaliers teutons épouvantés par tout ce qui précède… Peuplé de personnages étonnants, empreint de réalisme magique et d’un souffle inspiré des sagas scandinaves, un roman à l’humour et à l’imagination délirants.

Edition : Attila Tripode

 

Mon Avis : J’avoue, je suis complètement passé à côté de ce livre au moment de sa sortie, c’est simple je ne l’ai même pas vu en librairie. Il a fallu attendre que je commence à voir apparaitre quelques chroniques élogieuses sur le net ainsi que plusieurs nominations à différents prix pour que je me penche dessus. Et je n’ai pas mis longtemps à le faire rentrer dans ma PAL, convaincu par un résumé complètement barré qui m’a tout de suite accroché et une couverture, illustrée par Denis Dubois, que je trouve superbe.

Finalement, je suis bien content de m’être laissé tenter par ce livre, sinon j’aurai eu l’impression d’être passé à côté d’un excellent roman, même si maintenant il va m’être difficile de faire une chronique tant ce livre est un OLNI. Imaginez une Estonie imaginaire où on apprend à connaitre Leemet, dernier homme à savoir parler aux serpents et à vivre selon des anciennes traditions, qui décide de raconter son passé. À travers ce conte l’auteur va brasser énormément de sujets et de réflexions de façon cohérente et en rendant l’ensemble franchement passionnant et instructif.

On découvre ici l’aspect initiatique du jeune Leemet qui se retrouve coincé entre deux mondes, l’un passéiste et l’autre soit disant moderne ; deux mondes complètement différents aux traditions et aux valeurs souvent opposées, mais aussi parfois très proches. On cherche à obliger le héro à faire un choix mais, au fil des ans, il se rend compte que les deux ont leurs avantages et leurs contraintes et il ne comprend pas bien d’ailleurs pourquoi il devrait choisir. L’auteur nous offre ainsi ici une réflexion intelligente et acerbe sur une époque où la religion chrétienne tentait d’uniformiser les peuples et de faire disparaitre les mythes païens soit par la force, soit par la ruse et le rêve. Mais c ‘est aussi un texte fascinant de façon plus large sur l’évolution du monde et la façon dont les peuples l’acceptent ou pas, et qui ne peut que nous toucher encore aujourd’hui où on continue à vouloir nous uniformiser, à parfois nous imposer une doctrine de pensée et de vie. Mais c’est aussi une quête identitaire du jeune héros qui cherche à se définir et à se construire face à toutes ces influences, oscillant entre tradition et modernisme et qui aimerait bien simplement vivre sa vie comme il l’entend et non pas comme on lui dit de le faire.

Ce roman, en plus d’une critique acerbe et réaliste de l’humanité et sa façon d’évoluer, est aussi d’une certaine façon un rappel sur la nature et la forêt et ce qu’elle peut apporter, loin aussi de l’extrémisme que peut proposer certains, ne nous demandant pas de ressortir le pagne, oublier notre vie et aller nous rouler sous les arbres. En effet l’auteur propose plutôt une réflexion sur l’importance de la nature, que certes tous les hommes vont d’une certaine façon violenter, que ce soit les traditionalistes, qui défrichent la forêt pour de la lumière ou abattent les arbres pour les bûchers ou la cuisson de la viande, mais aussi les hommes modernes qui brûlent la forêt pour y faire pousser des semences et construire des cabanes, alors qu’il faudrait d’une certaine façon la respecter, n’y prendre que le nécessaire et parfois oublier le superflu. On est loin de l’écolo extrême, mais plus près du réfléchi qui ouvre des perspectives et un débat sur l’importance de la faune et de la flore.

L’auteur développe aussi au fil des pages un travail intelligent sur le langage, principalement avec cette langue des serpents dont Leemet est le dernier dépositaire. Celle-ci va donc s’éteindre avec lui. Ce n’est pas sans rappeler ce qu’on retrouve énormément actuellement avec les débats qu’on peut voir sur la disparition de nombreuses langues ou bien l’uniformisation de l’utilisation de l’Anglais comme langue « mondiale ». Mais de nouveau c’est une réflexion attrayante qu’il propose, il n’est pas contre le fait que beaucoup parlent la même langue, il montre simplement que toutes les langues ont leur importance et qu’il serait dommage de les oublier et de voir des générations de gens ne plus pouvoir communiquer avec les autres car plus personne ne les comprend. La postface, qui permet clairement de mieux comprendre certains points du roman, montre aussi que l’Estonien a failli disparaitre sous le joug Russe.

Autre aspect, plus poétique mais tout aussi envoûtant :  le travail sur ce monde à la fois contemporain et imaginaire, avec toutes ces intrusions du fantastique, comme la possibilité de parler aux serpents ou bien encore cette salamandre volante, véritable arme de guerre, ainsi que ce sage qui capte les vents et les place dans un sac. Tout cet aspect ajoute quelque chose de féérique et de magique au récit, accentuant encore un peu plus l’aspect conte. Une dimension fantastique prenante, bien amenée, et cohérente, qui colle parfaitement à ce monde en pleine mutation et transition.

L’auteur n’oublie pas non plus pour autant son récit qui se révèle prenant à découvrir et auquel le point de vue du héro confère une dimension épique. Comment ne pas accrocher à Leemet dont on va suivre la vie de la naissance à la fin, à travers ses différentes rencontres, que ce soit aussi bien avec les animaux qu’avec les hommes? Un mélange qui va se révéler à la fois curieux, tendre et intrigant par tout son aspect apprentissage de la vie, du monde, de la nature et de la sexualité qui nous fait rencontrer un enfant et un adolescent curieux mais changeant, qui ne comprend pas encore tout et qui va sombrer doucement au fil des pages dans un monde adulte sombre, violent, pessimiste comme s’il avait perdu ses rêves et ses illusions de jeunesse et que la vie le ramenait toujours vers la souffrance à travers des pertes tristes, touchantes et des choix qui auront des conséquences pas toujours heureuses. Avec Leemet on passe à travers toutes les émotions que ce soit la joie, la peine, l’amour (traité de façon très spécifique et efficace), le besoin de transmettre son savoir ou encore la violence, l’agressivité et le rejet. Les différents personnages qui gravitent autour du héros se révèlent captivants, que ce soit par leurs bêtises ou leurs convictions. Mais surtout ce qui fascine c’est la façon dont l’auteur présente les personnages, ils sont tous d’une certaine façon un peu barrés ce qui leur ajoute une touche d’humour et d’intérêt. On est donc happé par Leemet qui, finalement, découvre avec mélancolie qu’il est, d’une certaine façon, le dernier.

La plume de l’auteur colle parfaitement à l’histoire et au narrateur se révélant à la fois enfantine et sauvage tout en étant réfléchie, fluide et entrainante, happant le lecteur par un humour acerbe et une plongée dans son univers. J’aurai juste un léger regret, une petite impression de longueur vers le milieu, je me suis demandé si l’auteur n’allait pas faire tourner en rond son histoire avant qu’il me surprenne et relance le tout. Au final j’ai passé un excellent moment avec ce livre qui nous fait plonger dans une Estonie en pleine mutation et qui nous fait réfléchir sur la bêtise humaine, que ce soit par la non-remise en cause d’un modernisme pas toujours réfléchi, comme l’idéalisation d’un passé qui n’a jamais existé. Un livre qui nous montre aussi que chacun s’adapte au changement à sa manière par l’oubli, le combat, la folie ou encore l’acceptation sans limite. Un roman à découvrir selon moi et qui plus est, malgré sa densité d’idées, il se révèle facile d’accès.

En Résumé : J’ai passé un excellent moment avec ce livre qui, en plus de nous proposer une intrigue à la fois initiatique, épique et sauvage, nous offre aussi énormément de réflexions très intéressantes sur l’évolution de l’homme et son acceptation, le langage, la nature ou encore sur la bêtise humaine. Ce monde imaginaire peuplé de fantastique se révèle à la fois intrigant et passionnant et les personnages qu’on découvre au fil des pages sont soignés, efficaces, attachants et complètement barrés. Lemmet, héros à la fois attendrissant et dur, ne manque pas d’interpeller, offrant une vision du monde intéressante. La plume de l’auteur colle de façon efficace à l’histoire, se révélant enfantine, sauvage et réfléchie et nous plonge avec facilité dans cette histoire. J’aurai juste comme léger reproche, un léger sentiment de longueur vers le milieu du livre, vite effacé par la suite. Un roman à découvrir selon moi. À noter aussi la postface qui permet de mieux appréhender l’histoire surtout vis-à-vis de certains points qui sont propres à l’Estonie.

 

Ma Note : 9/10

 

Autres avis : joyeux-drille, nymeria, Readingintherain, …

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  1. Merci beaucoup pour cette chronique qui me donne très envie de le sortir de ma PAL!!

  2. Je l’avais repéré celui-là, faut vraiment que je le lise un de ces 4 ^^

  3. Le titre, la couverture, le résumé et ensuite ton avis. En tête de liste pour le mois à venir ^-^! Encore merci pour ces découvertes (un jour peut-être arriverai-je à ‘chroniquer’ mes lectures). Ici c’est devenu un peu beaucoup mon repère à merveilles.

    • Merci pour le commentaire, ça fait toujours plaisir 🙂

      J’espère donc que ce livre te plaira autant qu’à moi. Bonne lecture.

  4. J’avais déjà vu passer ce livre, mais je l’avais oublié alors qu’il me faisait envie. Merci de me le rappeler 🙂

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