Nuit Mère – Kurt Vonnegut

Résumé : “Je suis américain de naissance, nazi de réputation et apatride par inclination.” Ainsi s’ouvrent les confessions de Howard W. Campbell Jr. qui attend d’être jugé pour crimes de guerre dans une cellule de Jérusalem. Ce dramaturge à succès exilé en Allemagne est connu pour avoir été le propagandiste de radio le plus zélé du régime nazi. Mais il clame aujourd’hui son innocence et prétend n’avoir été qu’un agent infiltré au service des Alliés. Il lui reste désormais peu de temps pour se disculper et sauver sa peau.

Edition : Gallmeister

 

Mon Avis : J’avoue, avant de me plonger dans ce récit, je n’avais lu aucun écrit de l’auteur. Il s’agit donc de ma première découverte de son univers. Kurt Vonnegut est pourtant, si je ne me trompe pas, un écrivain très connu outre-manche, mais il n’a pas l’air d’avoir eu le même succès en France. Pour ma part, je me suis surtout laissé convaincre par le quatrième de couverture qui offrait un résumé intrigant dans les thématiques qu’il soulève. A noter une couverture, qui, je trouve, colle bien au récit.

On plonge ici dans un roman autobiographique fictif, où Kurt Vonnegut passe pour l’éditeur d’un manuscrit qui lui a été envoyé par un certain Howard W. Campbell Jr., célèbre dramaturge qui fût l’un des propagandistes les plus connus du régime Nazi et qui maintenant, proche de son procès, annonce qu’il était en fait un agent secret infiltré. Ce récit va alors nous raconter sa vie, de la période juste avant la guerre jusqu’à l’approche de son procès. Je dois bien admettre qu’une fois la dernière page tournée, j’ai trouvé ce récit très bon et terriblement efficace que ce soit dans les thématiques qu’il soulève et les réflexions qu’il offre, mais aussi dans la façon dont l’auteur construit son histoire. La grande force du roman vient selon moi du portrait que dresse l’auteur tout du long, avec en fond cette morale clairement annoncé : « nous sommes ce que nous feignons d’être, aussi devons-nous prendre garde à ce que nous feignons d’être ». Car finalement, plus on découvre notre héros, plus on se rend compte qu’il n’a rien d’un nazi. C’est d’ailleurs peut-être aussi son gros problème, il n’a pas l’air de vouloir être grand-chose, de vouloir simplement vivre sa vie dans son coin sans se mêler des affaires du monde. Sauf que le Monde l’a forcé à jouer le jeu il a donc accepté le rôle et même s’il ne parait pas être un pourri, même s’il a pu aider les alliés, il a quand même été l’un des plus grand fervent vendeur de l’idéologie Nazi et dans un monde où notre morale est principalement définie par le regard des autres, cela ne pardonne pas.

C’est justement cette dualité qui rend ce récit si prenant et percutant, le fait qu’au final notre héros ne soit pas un monstre, voir même soit-disant un héros, qu’il a toujours fait ce qu’on lui a demandé de faire et qu’il connaisse parfaitement la portée de ses actes. Car finalement, ce qu’on retient, et c’est normal, c’est qu’il a été l’un des plus pourris de l’histoire de cette guerre. Pourtant, au fond il n’est qu’une personne comme les autres, qui a obéi aux ordres, en quoi cela fait de lui un coupable. Sauf que d’un autre côté sa propagande a touché des milliers voir des millions de personnes, a sûrement amené des horreurs et continue à en amener à travers des personnes qui se reconnaissent toujours dans les abominations qu’il a dit et qui se reconnaissant décident d’en faire des vérités. C’est d’ailleurs assez fascinant avec quelle facilité ce questionnement continue à faire écho dans notre société actuelle, comme par exemple à travers tout ce qui est fake news, voir pire et comment à quel point on peut se laisser fasciner par ce qui est en raccord avec nos convictions, que ce soit vrai ou pas. Surtout il montre clairement que la personne la plus lambda, la plus ordinaire aux premiers abords peut cacher de lourds, très lourds secrets sans que cela soit obligatoirement devinable au premier coup d’oeil. C’est ce côté assez marquant et dérangeant qui font de ce livre une lecture qui ne laisse pas indifférent et force le lecteur à se questionner sur la façon dont on aurait régi, agi dans les même circonstances. Ce récit nous met ainsi face à nos responsabilités, pas simplement face à la seconde guerre mondiale, mais aussi face à nos actes et aux actions que nous menons, face au monde que nous tentons de construire et que nous laisserons derrière nous. A travers ce personnage nihiliste il tente aussi justement de nous montrer que ne rien faire n’est pas toujours une bonne idée.

Il faut dire que, malgré que le roman ait maintenant plus de 50 ans, il montre que l’auteur possédait déjà une vision claire et acérée de notre société, qui continue encore à faire réfléchir de nos jours. Il ressort ainsi de ce texte une humanité perdue, incapable d’être plus que des acteurs d’une pièce de théâtre déjà écrite, et pourtant ce la n’empêche pas non plus de dévoiler certains passages d’une grande noblesse et d’une grande force. Que ce soit dans sa critique contre la guerre, contre les différences, contre le rejet, mais aussi sur l’incapacité qu’on peut avoir à ne pas comprendre l’autre, à vouloir le manipuler, l’auteur brasse énormément de réflexions le tout de façon réussie et frappante. Mais surtout ce qui accentue l’effet, selon moi, captivant du roman vient de la façon dont l’auteur le traite. Il se dégage ainsi une certaine simplicité du récit, une ironie et un humour noir qui donne d’une certaine façon un ton plus léger à l’ensemble malgré les thématiques misent en avant. Ce décalage, je trouve, accentue encore plus l’impact des nombreux messages que cherche à faire passer l’auteur et surtout il évite ce côté aussi trop étouffant et oppressant qui pourrait bloquer. Un côté théâtral qui accentue l’idée que les personnages n’ont d’autres choix que de jouer les rôles dans lesquels ils sont enfermés. Le tout est aussi porté par des personnages qui peuvent paraitre exagérés par moment, mais qui ne manquent pas de profondeur et qui collent parfaitement à ce que construit l’auteur que ce soit dans leurs folies, leurs rêves et leurs illusions ou plutôt leurs désillusions et ce que l’on en sort.

Alors oui, l’auteur cherche à nous faire réagir, offre un récit d’une certaine façon moralisateur, mais voilà il le fait sans jamais non plus alourdir le récit ou le plomber. Ses idées sont claires, mais pour autant il ne les impose pas, il se sert simplement du récit pour les démontrer pour nous pousser à nous questionner. On ne se sent ainsi jamais forcé ou imposer par la façon dont il les amène je trouve. Alors après, j’avoue que le côté théâtral, avec ces retournements de situations parfois un peu facile, m’ont par moment frustré, mais franchement rien de non plus trop bloquant. La plume de l’auteur s’avère simple, efficace et ne laisse pas indifférent, même si j’avoue elle n’est pas toujours aidée par une traduction qui m’a paru une ou deux fois hasardeuse. Je lirai d’autres romans de l’auteur et d’ailleurs si vous avez certains de ces livres à me conseiller n’hésitez pas.

En Résumé : J’ai passé un très bon moment de lecture avec ce roman qui ne m’a pas laissé indifférent que ce soit dans les thématiques qu’il soulève comme dans sa construction. Il s’agit d’un récit autobiographique fictif d’Howard W. Campbell Jr. qui fût pendant la seconde guerre mondiale le plus propagandiste de la cause nazi et qui aujourd’hui, à l’approche de son procès déclare qu’il fût en fait un espion américain. Un récit qui nous interroge sur qui nous sommes, sur le rôle que nous jouons dans le monde actuel et sur la façon dont nous le jouons. Il nous rappelle ainsi que nos actes sont jugés principalement par la façon dont les autres le comprenne et qu’il faut parfois faire attention. Mais il ne s’arrête pas là il nous offre aussi de nombreuses autres réflexions sur nos choix, nos actions, la guerre la notion de différence, de haine ou bien encore de choix. Il dresse aussi le portrait d’une humanité qui parait plus acteur, coincé dans son rôle même si parfois il arrive à en sortir du bon. Mais surtout l’ensemble est accentué par la construction du récit assez simple, léger avec une ironie et un humour noir qui viennent contrebalancer la gravité du message. Le tout est aussi porté par des personnages qui peuvent paraitre exagérés, mais qui finalement collent parfaitement à l’intrigue. Alors après, c’est vrai, que ce côté un peu théâtral offrent une certaine facilité et certains retournements un peu caricaturaux, mais franchement rien de gênant. La plume de l’auteur s’avère simple, efficace malgré une traduction parfois hasardeuse je trouve. En tout un roman qui m’a captivé et je lirai sans soucis d’autres écrits de l’auteur.

 

Ma Note : 8/10

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  1. Ah Kurt Vonnegut. C’est vrai qu’il est bien dommage qu’il ne soit pas plus populaire chez nous, il a pourtant écrit des œuvres immenses. Si tu veux continuer ta découverte de cet auteur, Le berceau du chat (difficile à trouver malheureusement) et Abattoir cinq sont vraiment géniaux.
    Ce « Nuit mère » a l’air de t’avoir fait une forte impression ! Ta chronique me donne très envie de le découvrir.

    • Je ne connaissais pas l’auteur et, oui, je trouve que le brassage des réflexions de ce Nuit Mère ne laisse pas indifférent. Il faut juste se laisser entrer dans la forme qui est quand même plutôt théâtrale.

      Merci pour tes conseils, je vais voir ce que je vais pouvoir trouver. Je pense que ça va être en premier lieu Abattoir 5 qui revient régulièrement dans les conseils qu’on me donne.

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